Reconstruire l’espoir
Editorial pour le numéro 76 du journal « Tous Montreuil » du 15 au 28 mai 2012
« Au départ, au départ, un homme, une rose à la main… » Qui ne connait désormais la chanson douce-amère d’Alex Beaupain, égrenant en 4 minutes, heures victorieuses et magnifiques et moments de doute et de déception de la gauche au pouvoir ?
Les citoyens, qu’on disait perplexes et désenchantés, se sont rendus massivement aux urnes le 22 avril, puis le 6 mai ! A Montreuil comme ailleurs, à Montreuil plus qu’ailleurs – François Hollande a obtenu 75,84 % des suffrages exprimés dans notre ville – ils ont voté pour celui qui est désormais le 24ème président de la République française. Un président normal pour une République exemplaire.
Le soulagement est grand, et la joie bien réelle. Mais une joie différente de l’euphorie de 1981. Une joie empreinte de gravité. Nous savons les difficultés qui attendent le nouveau président et son gouvernement tout neuf. La profondeur de la crise, en France et en Europe. Le poids de la dette, après dix ans de mauvais choix budgétaires et fiscaux. La fatigue des soldats de la République, caricaturés et dévalorisés depuis des années, frappés par des suppressions de postes, dans l’éducation, la santé, la police… et des gels de crédits, pour la nature, l’université, la culture, les personnes handicapées ou dépendantes. L’épuisement de millions de personnes, dans les campagnes, où l’agriculture est en crise profonde, comme dans les quartiers de nos villes, faute de travail, de logements, de modes de garde pour les enfants… De l’état pitoyable des prisons à l’absence de véhicules dans les commissariats, où donner de la tête ?
François Hollande s’est longuement préparé. A la campagne et au choc frontal avec le sortant. Mais surtout à l’exercice du pouvoir. Il sait qu’on attend davantage de la gauche, davantage de justice, davantage d’honnêteté, davantage de transparence. Il sait qu’on ne peut pas tout promettre et son contraire, mais qu’il faudra tout tenter, tenir, résister, inventer. Il sait qu’il lui faudra rassembler son camp, d’abord, celui de la gauche et des écologistes, et aussi tendre la main aux hommes et aux femmes de bonne volonté, en face, pour déployer des solutions nouvelles, mobiliser les ressources et les intelligences, au service du bien commun.
Reconstruire l’espoir… C’est de cela qu’il s’agit, pour retrouver ceux qui ne vont plus voter, et ceux qui ont choisi l’extrême droite.
Si la droite, au pouvoir depuis dix ans, porte dans cette affaire une lourde responsabilité, pour avoir abandonné ceux qu’elle prétendait défendre – la France qui travaille, la France qui souffre, disait son candidat en 2007 – et donné, à maintes reprises, le sentiment de servir des intérêts de classe et de clan, la gauche aurait tort de donner des leçons. Car elle a souvent mobilisé, contre le Front national, des stratégies et des outils qui se sont révélés peu efficaces, de la caricature (tous d’ignobles racistes ?) à l’insulte (Mme Le Pen est hélas tout, sauf une « semi-démente »).
En vérité, aucun « front républicain », aucun cordon sanitaire, aucune dénonciation, fût-elle massive, fût-elle unitaire, ne suffira à contenir les aspirations de citoyens qui se sentent, à tort ou à raison, abandonnés à leur sort, dans le bassin minier du Pas-de-Calais ou autour de l’étang de Berre, dans les champs de betteraves de Seine-et-Marne ou dans les quartiers dits « sensibles » de nos villes. C’est sur les espérances déçues, les promesses non tenues, la distance entre les mots et les actes… que le Front national fait son beurre. Ne l’oublions jamais.
Dominique VOYNET, Maire de Montreuil