Victimes des essais nucléaires français : reconnaissance tardive et indemnisation incertaine.

Le Sénat a adopté, mercredi 14 octobre, le projet de loi relatif ? la reconnaissance et ? l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Si ce texte présente indéniablement le mérite de reconnaître les conséquences de ces essais nucléaires sur la santé des personnes irradiées, le dispositif prévu pour leur indemnisation s’avère malheureusement insatisfaisant, comme le soulignent les associations de victimes. En guise de droit ? une indemnisation, c’est en effet plutôt un droit ? déposer un dossier que se voient attribuer les victimes, tant le caractère restrictif de la procédure prévue rend incertain la possibilité pour elles de voir le préjudice subi enfin réparé.

Ce projet de loi présentant de surcroit de lourdes carences, tant en terme de suivi médical que sur les conséquences environnementales de ces essais, Dominique Voynet, avec les Sénateurs Verts, a voté contre ce texte.

Elle s’en explique dans son intervention lors de la discussion générale.

« Nous sommes ici pour établir une vérité et honorer une dette. …

… La vérité, ce sont des faits trop longtemps dissimulés sur les conséquences des choix militaires de notre pays et sur les expérimentations inspirées par ces choix -que je ne partage pas mais l? n’est pas la question aujourd’hui. Il me paraît hasardeux d’affirmer que la grandeur de la France serait proportionnelle ? son arsenal nucléaire. Son image a même été sérieusement écornée quand le Président Chirac a repris les essais en 1995. Il y a eu des essais nucléaires au Sahara et en Polynésie, dont ont été victimes des hommes et des femmes. Après trente ans de déni et dix ans supplémentaires d’atermoiements, voici qu’un projet de loi reconnait ces faits. C’est son premier et principal mérite, même si son titre eût plutôt dû parler de « certaines des » victimes.

Plus de cinquante ans après les faits, la France doit reconnaître la réalité, toute la réalité de son action, et assumer totalement ses responsabilités. Reconnaître que ces essais ont été conduits sans prêter attention ? leurs conséquences sur la santé et sur l’environnement, ? une époque, il est vrai, où les ministres ne dédaignaient pas de poser virilement devant un champignon nucléaire. Reconnaître que l’armée française a exposé aux radiations trop de ses soldats, sacrifiant leur intégrité physique sous couvert d’intérêt national. Reconnaître qu’avec les retombées radioactives dans l’environnement, ce sont aussi les populations civiles qui ont été sacrifiées, même si l’on fait mine de croire qu’elles étaient informées et consentantes. Reconnaître que la France s’est comportée au Sahara et en Polynésie comme une puissance coloniale, faisant peu de cas du sort de ceux qui avaient le tort de vivre l? , et même comme une puissance corruptrice déversant des sommes considérables pour étouffer les scrupules de ceux qui en avaient et trouver en Polynésie même des alliés, qui ont ainsi assuré leur mainmise sur le territoire. Je mesure la portée de ce texte et combien le rappel de ces fautes est douloureux ? entendre. M. Morin l’a rappelé ? juste titre : tous les gouvernements successifs ont buté sur ce point. Cela a été objecté ? Mme Demessine. J’appartenais au même gouvernement qu’elle et je puis vous parler de la brutalité avec laquelle le ministère de la Défense d’alors refusait même de communiquer les dossiers médicaux des personnes touchées.

J’ai compris qu’on aurait aimé un vote tranquille, sobre et consensuel, qui s’en tienne ? traiter presque cliniquement le sujet, avec la retenue qui convient pour donner le sentiment de racheter la faute sans avoir ? évoquer les agissements du fautif. Mais une part de la dette que notre pays doit honorer tient aux mots que nous saurons trouver ici pour dire ce qui s’est passé durant ces décennies, de la mise en danger des victimes ? la dénégation, au mépris des malades, au refus de reconnaître la réalité, armé par la puissance du secret défense. Chacun doit mesurer ce qu’il a fallu de temps, d’énergie et de ténacité pour que les victimes voient enfin ce jour. Certains de ceux qui vont voter ce texte considéraient, il n’y a guère, les victimes avec l’indifférence polie qu’on réserve aux affabulateurs, aux hypocondriaques et tenaient ceux qui les défendaient pour des manipulateurs et des procéduriers. Ces affabulateurs et ces manipulateurs, je les salue, ils sont l? aujourd’hui, dans les tribunes, ils sont médecins, avocats, syndicalistes, journalistes, représentants des églises polynésiennes.

Certains refusent une législation mémorielle. Leurs préventions sont légitimes : le Parlement ne légifère pas pour la mémoire mais pour la justice. Cela requiert d’abord de reconnaître la vérité. Ce n’est pas Jacques Chirac qui a décidé de mettre fin aux essais nucléaires, comme nous l’avons entendu dire, mais François Mitterrand. (M. Didier Boulaud le confirme et applaudit) M. Chirac a recommencé les essais, avant des les arrêter devant l’ampleur des protestations en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Europe. Il faut aussi reconnaître le préjudice moral, sanitaire et environnemental subi par la population polynésienne et par le personnel civil et militaire des sites et répondre favorablement ? la demande des victimes de se voir témoigner la reconnaissance de la Nation : un amendement en ce sens a été accueilli avec sympathie par M. le rapporteur ; souhaitons qu’il soit unanimement approuvé. Il faudrait également élargir le champ de ce projet de loi et passer, comme le demande avec insistance le Médiateur de la République, d’une logique d’indemnisation financière ? une logique de réparation. Le Gouvernement et la majorité s’y refusent et s’en tiennent aux mesures qui relèvent strictement de la responsabilité de l’État employeur.

Je regrette que ce texte ne prenne pas suffisamment en compte la situation des ayants droit et fais miennes les remarques de M. le rapporteur sur la détresse et la solitude des veuves, des orphelins et des parents qui donnent naissance ? un enfant présentant une déficience immunitaire ou une poly-malformation. Il avait déposé en commission un amendement qui visait ? combler ces lacunes et avait recueilli l’assentiment de tous les groupes ; mais cet amendement a été déclaré irrecevable en vertu de l’article 40, au motif qu’il créait une nouvelle charge pour l’État. Cette décision fut prise sans donner lieu ? aucun débat ni être susceptible d’appel, alors même que la commission des finances ne siège pas ! Il suffit donc qu’un fonctionnaire invoque l’article 40 pour que l’on abandonne une mesure souhaitée par tous les parlementaires ! Mais l’objet même de ce projet de loi n’est-il pas d’augmenter les charges de l’État en l’obligeant ? indemniser toutes les victimes des essais ? M. le ministre dit que les ayants droit pourront saisir le tribunal administratif. Croit-il que cela ne coûte rien ? l’État ? Faisons donc une étude d’impact : mettons en place pendant quelques années deux procédures d’indemnisation, l’une devant les tribunaux administratifs, l’autre devant le comité d’indemnisation, et nous retiendrons le dispositif le plus efficace et le moins coûteux ! Les associations de victimes partagent cette analyse, ainsi que le Médiateur de la République.

Il faudrait également assurer un suivi médical régulier du personnel civil et militaire des sites -qui comprend, dit-on, 150 000 personnes- et de la population exposée afin de diagnostiquer le plus tôt possible les pathologies et de préserver les chances de survie, voire de guérison des malades. Nous avons aussi besoin d’études épidémiologiques prenant en compte non seulement la radioactivité observée ? tel moment et dans tel milieu mais aussi le mode de vie et les habitudes alimentaires des habitants, ou encore certains événements : des matériaux radioactifs ont parfois été réutilisés. Cela permettrait d’en finir avec les caricatures ou les fausses évidences, comme celle qui veut qu’il y ait moins de radioactivité ? Mururoa qu’en Bretagne…

Les implantations militaires échappent aux règles régissant les sites nucléaires civils. Souhaitons que cela n’autorise pas une nouvelle fois l’État ? nier ses responsabilités puis ? indemniser les victimes dans dix ou quinze ans, quand elles auront pris de l’âge. Car il faudra bien un jour reconnaître que des appelés jeunes et peu avertis ont été incités ? manipuler du matériel radioactif ! Mais pour l’heure, nous ne savons pas ce qui est stocké dans ces sites. Cette loi est un tout premier pas. Souhaitons qu’elle soit bientôt suivie d’avancées plus significatives ».

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