Sur le budget de la défense
Comme chaque lundi, je réunissais hier le comité de pilotage de la campagne pour les élections municipales ? Montreuil. Hélas, je n’ai pu y assister… En raison du retard pris dans l’examen du budget de l’Outre-Mer dans l’après-midi, le budget de la Défense – 48 milliards d’euros quand même – a été examiné en séance de nuit, devant deux poignées de parlementaires. Ca m’a permis d’écouter le débat sur l’Outre-Mer. Qu’en dire ? Chacun des sénateurs des DOM et des TOM a pris la parole, pour plaider pour plus et mieux… pour le territoire qu’il représente, aucun parlementaire « métropolitain » n’étant inscrit au débat. A dire vrai, le débat sur la Défense ne se passe pas de façon très différente : nombre des orateurs ont « intérêt ? agir », comme on dirait en droit : ils représentent des départements où l’industrie de défense pèse lourd, en emplois… Les tribunes n’étaient garnies que d’uniformes. Quant au ministre, il a soigneusement répondu aux questions posées, d’une façon simple et directe, qui tranchait agréablement avec la langue de bois et la raideur de Michèle Alliot Marie, qui l’a précédé ? ce poste. A une exception près : la dissuasion nucléaire. Motus sur ce sujet, aujourd’hui comme hier…
Ci-après le texte de mon intervention nocturne.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,
Quelle est la politique de défense et de sécurité de la France ? Bien malin qui pourrait se faire une opinion, ? l’écoute des interventions des principaux responsables politiques de notre pays, ou ? la lecture des analyses des principaux chefs militaires.
Prédomine l’impression que, tour ? tour et au fil de l’eau, on affiche un certain nombre d’options : l’accent est mis un jour sur l’Europe de la Défense, présentée comme une des priorités de la présidence française de l’Union, avec des objectifs néanmoins encore flous, et le lendemain, sur le rapprochement avec l’OTAN, sans que le débat ait lieu, ne serait-ce qu’aux marges, avec la société, sans que les implications concrètes, en terme de priorités stratégiques et de choix d’équipements, n’en soient tirées.
Plus généralement, des évolutions lourdes ont été décidées au cours des dernières années, sans que les Français en soient réellement conscients, faute d’un débat démocratique digne de ce nom. D’une armée de conscription, conçue comme un outil de cohésion nationale, nous sommes passés ? une armée professionnelle. D’une armée de protection du territoire national, nous sommes passés ? une armée d’interventions extérieures. D’une volonté d’autonomie stratégique, nous sommes passés ? une démarche d’intégration, dont on ne sait pas bien si elle donne priorité ? la construction de l’Europe ou au dialogue trans-atlantique. Sans oublier l’impact de ces évolutions, amplifié par la réalité budgétaire, sur l’industrie de défense, hier nationale, demain sans doute plus intégrée.
Quelles sont les menaces ? Quels sont les outils de notre sécurité ? Comment construire une paix durable ? Le comportement réel de la France est-il respectueux des principes que nous prétendons défendre ? Voil? les questions. La commission chargée d’élaborer le Livre blanc, sous la présidence de Jean-Claude Mallet, apportera-t-elle des éléments de réponse ? Sans faire de procès d’intention, on peut se poser des questions au regard de sa composition, largement « endogamique », caractérisée par une sur-représentation du ministère de la Défense. Un seul représentant du ministère des Affaires étrangères ! Et aucune personnalité qualifiée, issue de mouvements plus sensibles ? la prévention des conflits, ? la médiation, ? la culture de paix…
Dans un autre registre, on assiste, après la multiplication des « Grenelle », de l’environnement, de l’insertion, de la fiscalité locale, ? l’avalanche des « livres blancs » : sur la défense, sur les institutions, sur la politique étrangère. Quelle cohérence ? Quels arbitrages ? Quel rôle pour le Parlement ? Mystère…
On nous dit que le Livre blanc traduira une nouvelle approche, qu’il permettra de mieux prendre en compte le terrorisme ou la prolifération, qu’elle soit nucléaire, chimique, ou bactériologique. J’en accepte l’augure. Traitera-t-il des menaces nouvelles ? De la raréfaction des matières premières, et notamment des énergies fossiles ? De la multiplication des événements climatiques extrêmes, sur fond de changement climatique, d’une ampleur hier encore sous-estimée ? Du retour des tensions sur le marché des céréales ? Du risque de terrorisme informatique, ou de destruction de satellites, provoquant la désorganisation de pans entiers du fonctionnement de nos sociétés ? Nous verrons bien.
Je veux comprendre, et je vous pose deux questions : 1. Pourquoi, ? quelques encablures de la livraison du livre blanc, et alors qu’? chaque questionnement, on nous renvoie ? son imminente publication, pourquoi avons-nous le sentiment que les décisions importantes ont déj? été prises ? Pourquoi les catapultes nécessaires ? un second porte-avions ont-elles été commandées, et trois milliards d’euros provisionnés au budget, contre votre avis, Monsieur le Ministre, si j’ai bien suivi, si rien n’est décidé ?
2. Pourquoi ne pas admettre que la réponse aux nouvelles menaces n’est pas militaire ? Qui peut une seconde imaginer que c’est en agitant sous le nez de Vladimir Poutine le chiffon rouge d’une défense anti-missiles positionnée sur le sol européen que l’on renforce la sécurité de notre continent ? Comment ne pas considérer la décision de la Russie, annoncée vendredi dernier, en marge de la conférence annuelle de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de la Russie, de suspendre sa participation au traité de réduction des forces conventionnelles en Europe, comme une réponse ? ce qui apparaît comme une inutile et dangereuse provocation ? Comment lutter contre le terrorisme ? Qui espère qu’une victoire militaire, que les observateurs jugent par ailleurs improbable, contre la ou les têtes d’Al Qaeda, suffirait ? assurer la sécurité de notre population, de nos villes, de nos équipements, de nos approvisionnements en matières premières ?
Je voudrais, Monsieur le Ministre, vous faire part de quelques préoccupations, en commençant par la dissuasion nucléaire. C’est un sujet dont il reste difficile de débattre, je n’en veux pour preuve que le message adressé par le président de la République ? JC Mallet : « la dissuasion reste un impératif absolu ».
Le nucléaire ne nous protège pourtant d’aucune des menaces d’aujourd’hui, on l’a vu plus haut. Une vingtaine de pays sont aujourd’hui au seuil, on considère qu’il y en aura deux fois plus dans une quinzaine d’années. Quel impact sur la sécurité du monde, et sur la nôtre ? Poser la question, c’est hélas y répondre ! Qu’attend notre pays, qui présente volontiers le renoncement ? la composante terrestre de sa dissuasion, comme une mesure de désarmement, en tordant un peu le nez ? la réalité, pour prendre une initiative diplomatique forte ? Le moment n’est-il pas venu d’élaborer, sur le modèle de la Convention sur le désarmement chimique, une Convention sur le désarmement nucléaire – au lieu de finaliser le missile M51, de contourner de fait, par le développement de Megajoule, les engagements pris par notre pays dans le cadre du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, et de préparer les esprits ? une guerre contre l’Iran ?
Qu’en pensent nos principaux partenaires européens ? Nicolas Sarkozy a tenté, si on en croit Der Spiegel, qui est de l’autre côté du Rhin l’hebdomadaire de référence, de convaincre la chancelière allemande de l’intérêt qu’elle pourrait trouver ? placer son pays sous la protection nucléaire française. Ce faisant, il a démontré une profonde méconnaissance de la situation politique et de l’opinion allemandes, et il a irrité Angela Merkel. Aucun de nos partenaires européens ne se place dans la perspective hâtivement tracée par le président français, c’est l? une réalité dont nous ferions bien de tenir compte. En revanche, tous s’interrogent. Que veut la France ? Réintégrer l’OTAN ? Ou construire l’Europe de la Défense, perspective qui me paraît ? tous égards bien plus crédible et bien moins hasardeuse ?
Je fais partie de ceux qui s’inquiètent de la perspective d’une réintégration de la France dans l’OTAN, si elle ne s’accompagne pas 1. de la reconnaissance de l’autonomie du pilier européen ; 2. de la restauration du débat stratégique entre alliés ; 3. de la redéfinition du champ d’action et de la doctrine d’intervention de l’organisation. D’abord parce que le statut actuel de la France n’empêche pas la coopération. Ensuite parce que le prix ? payer pour ce geste politique en direction des Etats-Unis serait élevé, comme le souligne Hubert Védrine, dans le rapport qu’il a remis au Président de la République. Il donnerait ? penser que la France n’a plus les moyens de son autonomie stratégique et opérationnelle. Il éroderait la capacité de notre pays ? se faire entendre en Afrique, ou au Proche Orient, en donnant le sentiment qu’il se rallie ? l’idée d’un choc des civilisations. Sur l’OTAN toujours, on trouve dans votre budget la mention de la contribution française au budget de l’organisation – 106 millions d’euros, ce qui fait d’elle le 5 ème contributeur, pas mal pour un pays qui n’est officiellement pas membre – mais pas le montant total des dépenses, incluant les personnels, et les matériels, liées ? la participation française aux opérations de l’OTAN. Merci de nous renseigner sur ce point.
Autre sujet de préoccupation : la politique française d’exportation d’armes Dans le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France que vous venez de nous faire parvenir, vous prétendez, « dans un contexte où la concurrence internationale ne cesse de croître », faire du soutien aux exportations d’équipements de défense et de sécurité l’une des priorités de votre ministère pour les prochaines années. Je ne suis pas d’accord, Monsieur le Ministre. Ce n’est pas ? vous de rassembler les industriels pour discuter des moyens d’accroître leur réactivité sur le marché mondial. C’est ? Monsieur Novelli, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, de le faire, dans l’hypothèse, que je conteste par ailleurs, où on considérerait que les entreprises de la défense sont des entreprises comme les autres. Ce n’est pas votre mission non plus d’alléger le contrôle sur les exportations d’armes. Ecoutez votre directeur des Affaires stratégiques : « on ne peut s’en remettre ? la seule responsabilité des industriels, compte tenu des tentations toujours présentes » et encore « le dispositif actuel a au moins le mérite de ne pas exposer la France au reproche fait ? d’autres, de diffuser des technologies sensibles dans des états proliférants ». L’agrément préalable unique ou la délivrance d’autorisations globales pour les matériels les moins sensibles, mis en place selon les recommandations d’Yves Fromion, devront être sérieusement évalués et si nécessaires remis en cause, si l’objectif n’est pas seulement, ce que j’espère, de doper quel qu’en soit le prix, les exportations d’armes.
Quant aux bombes ? sous-munitions, que la France continue ? produire, utiliser et exporter, je me fais le relais, cette année encore, du plaidoyer d’Handicap international, en faveur de leur interdiction pure et simple.
Un mot encore, Monsieur le Ministre, concernant l’impact écologique des activités de défense. Je n’évoquerai que pour mémoire la question, qui n’est pas seulement environnementale, mais aussi économique, du prix des carburants, dont tout indique qu’il sera demain beaucoup plus élevé encore qu’il ne l’est aujourd’hui : on peut espérer que le renouvellement des matériels permettra de progresser. Je veux en revanche insister sur le démantèlement des navires de guerre – le Clémenceau, et le Colbert, – sur celui des sous-marins, avec des problèmes considérables, qu’il s’agisse de la santé des travailleurs ou de l’impact environnemental. Pourquoi ne pas respecter en matière d’équipements militaires la règle mise en place dans le domaine civil : la responsabilité des industriels, du berceau ? la tombe ? Bien d’autres sujets mériteraient d’être évoqués, de la sous-évaluation du coût des OPEX, préoccupante alors que la France entend jouer un rôle important ? l’Est du Tchad et au Darfour, au retard pris par l’avion de transport militaire A400M. Ces questions sont toutes importantes, elles ne doivent pas occulter une préoccupation toute politique : comment le Parlement, qui sait consacrer des heures et des heures de débat ? la sécurité des manèges forains ou ? la réglementation des espèces canines, peut-il continuer ? admettre que 48 milliards d’euros soient dépensés chaque année pour assurer la sécurité de notre pays, sans qu’on soit seulement en capacité de démontrer l’efficacité de cette dépense, au regard du seul objectif qui vaille : protéger la paix ?