Sénateur, tu comptes pour du beurre…

On peut n’y voir qu’un caprice du hasard… Les conditions dans lesquelles le Sénat est prié d’examiner le projet de loi sur la responsabilité environnementale illustrent pourtant ? merveille le fossé entre les nobles ambitions affichées par le président de la République – renforcer le rôle du Parlement – et la triviale réalité. Comment imaginer une seconde que la réforme des institutions, concoctée par le gouvernement, et qui fait l’objet d’âpres négociations entre la majorité (qui ne dispose pas des 3/5 des voix indispensables au vote de la réforme par les parlementaires des deux chambres) et l’opposition (dont la position définitive n’est pas arrêtée), changerait cette réalité triviale : les sénateurs comptent pour du beurre !

A l’appui de mon propos donc, le projet de loi sur la responsabilité environnementale… Censé transposer une directive de 2004, il a été préparé sous la houlette de Nelly Olin, alors ministre de l’Ecologie, et déposé sur le bureau du Sénat quelques jours ? peine avant la date limite de transposition, fixée au 30 avril 2007. Il y a dormi plus d’un an, jamais assez prioritaire, avant qu’une bonne âme ne s’avise de l’ire européenne : une « mise en demeure », et un « avis motivé », en attendant des sanctions financières ?

Bref, on nomme un rapporteur en catastrophe, il travaille en catastrophe, il apprend (catastrophé ?) ? quelques jours de l’examen du texte en commission que le ministre (Jean-Louis – mais puisque je vous jure que le Grenelle de l’Environnement, c’est du sérieux – Borloo) a l’intention de greffer sur les cinq petits articles du texte initial une bonne vingtaine d’amendements gouvernementaux, permettant de transposer en catimini six directives en souffrance. Un examen rapide suffit ? s’en convaincre : on n’est pas dans des textes « techniques », mais dans du « lourd » : des directives sur les déchets électriques et électroniques, sur les biocides, sur les polluants organiques persistants, et même le règlement REACH !

L’Europe a bon dos… La France accuse depuis toujours des retards considérables dans la transposition des directives communautaires, notamment en matière environnementale (chasse, Natura 2000, qualité des eaux etc.) et s’en est toujours moqué comme d’une guigne… Nous ne sommes pas dupes : LE vrai motif de cette précipitation reste le souci des petits stratèges de Matignon de ne pas revivre les soubresauts qui ont marqué l’examen du texte sur les OGM.

Au mépris des engagements pris dans le cadre du Grenelle, au mépris des exigences d’un travail parlementaire normal – procéder ? des auditions pour se forger une opinion, ou évaluer, comme la loi l’exige d’ailleurs, l’impact environnemental, financier, sanitaire, économique, juridique… des mesures proposées – les parlementaires ont donc découvert ce mardi matin, ? quelques heures de l’ouverture du débat plénier dans l’hémicycle, la teneur des amendements du gouvernement.

A l’heure où j’écris, passablement exaspérée, une seule question reste posée : qui affrontera la colère des sénateurs de gauche, et de quelques uns de droite ? Jean-Louis Borloo, qui avait fui en pleine bagarre contre les OGM ? Ou Nathalie Kosciusko-Morizet, qui avait du manger son chapeau après avoir courageusement tenté d’améliorer le texte, comme le souhaitaient écologistes et consommateurs ? Le reste est connu : on se moque de nous.

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