Sauver les investissements des collectivités locales
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Neuf milliards d’euros de crédits bancaires manquent aux collectivités locales pour assurer leurs projets d’investissements en 2012, selon Dominique Voynet. Pour la maire de Montreuil (EE-LV), «les effets d’un renoncement, même partiel, des collectivités à leurs projets d’investissement seraient catastrophiques» en termes d’emploi et d’équipements publics dans «les territoires les plus fragiles».
On ne le dira jamais assez: en France, ce sont les collectivités locales qui portent, à plus de 70%, l’investissement public. On parle là de routes et de transports collectifs, de trains régionaux et de tramways, d’écoles, de collèges, de lycées, de gymnases ou de pôles de santé. De logements aussi, et l’urgence de bâtir est connue. Ces équipements pourraient voir leur réalisation –ou, s’agissant d’équipements existants, leur rénovation– compromise, tant les communes, les départements et les régions qui portent ces chantiers sont confrontés à des difficultés majeures d’accès au crédit.
Conséquence de la crise provoquée par leurs propres emballements, les banques sont moins enthousiastes que jamais à prêter. Pour 2012, on estime que les besoins de crédits des collectivités s’élèvent de 16 à 17 milliards d’euros, pour financer la construction d’équipements publics qui ont un impact direct sur le bien (ou le mal) vivre des habitants. Encore une fois, il s’agit là d’investissements, pas de fonctionnement. J’ouvre là une parenthèse, pour préciser que la loi interdit aux collectivités de recourir à l’emprunt pour financer leur fonctionnement ordinaire. C’est là une grande différence avec l’État, qu’il faut bien souligner au moment où la ministre du budget, Valérie Pécresse, s’autorise l’outrance de déclarer, lundi 12 mars sur France Inter, que l’État serait vertueux et les collectivités dépensières!
Face à ces besoins, donc, de 17 milliards, le volume de crédits susceptible d’être débloqués par les banques privées est de l’ordre de 8 milliards d’euros. Rapide calcul: il manque 9 milliards, plus de la moitié du nécessaire, pour engager ce qui est prévu. Or, les effets d’un renoncement, même partiel, des collectivités à leurs projets d’investissements seraient catastrophiques, et d’abord pour les habitants des territoires déjà les plus fragiles. Ce ne sont pas les métropoles bien dotées qui ont le plus à craindre d’un tassement de l’investissement local, mais les campagnes en voie de désertification médicale, les zones péri-urbaines et les banlieues, déjà confrontées à des retards flagrants dans la livraison d’équipements publics adaptés. L’enjeu est lourd, aussi, en termes d’emploi: les collectivités comptent pour 50% des commandes au secteur du BTP, et ce sont des dizaines de PME, partout en France, qui seraient alors menacées.
Le gouvernement a récemment pris conscience des inquiétudes des collectivités, et s’est engagé à mobiliser les ressources de la Caisse des dépôts et consignations. Tant mieux. Les montants annoncés pour l’heure par le Premier ministre, toutefois, ne suffiront pas. Une refonte des moyens d’intervention de Dexia, la banque historique des collectivités, aujourd’hui plombée par les emprunts toxiques, est annoncée pour juin prochain. Il est peu probable que les collectivités puissent se permettre le luxe d’attendre encore plusieurs mois avant de prendre des décisions. Alors chacun réfléchit, se prépare à renoncer à tel ou tel projet, imagine d’autres pistes de financement –l’emprunt obligataire, notamment. Mais si, parfois, «ça passe» en 2012, rien n’est imaginé à ce stade pour 2013. A Montreuil, où nous tentons depuis trois ans de rattraper un retard considérable en matière d’équipements publics, nous savons que si aucune solution n’est trouvée, la panne sèche des crédits se traduira en nombre de classes ouvertes, en nombre de places en crèches, en équipements attendus dont la livraison devra être retardée.
A cela s’ajoutent les plans de rigueur décidés par l’État, qui viennent plomber les ressources des collectivités, cette fois dans leurs dépenses de fonctionnement. Ah! Très bien, dit le chœur de la droite: moins de fonctionnaires locaux, moins de bureaucratie! Voilà ce que dit l’idéologie. La réalité, plus complexe, c’est que les collectivités, auxquelles on demande de réparer et retisser ce que la crise et, il faut bien le dire, les politiques gouvernementales, déchirent, ne peuvent pas indéfiniment comprimer leurs dépenses sociales ou de formation professionnelle.
Ce qui est donc devant nous, c’est la conjonction entre le retrait des banques du financement des investissements locaux et le retrait de l’État, obsédé par le court terme. Est-il permis de dire que continuer sur une telle voie est tout à fait suicidaire? Qu’il faille en finir avec cette habitude de laisser filer, depuis trop longtemps, les déficits publics, personne ne le met en cause. Mais il ne s’agit pas non plus de verser dans une inconséquence aussi aveugle que la précédente! Quoiqu’en disent les bulletins de réassurance gouvernementale, la crise, le plus dur de la crise, n’est pas «derrière nous». Si nous ne prenons pas, très vite, un autre chemin, qui permette aux collectivités d’assumer leurs engagements au lieu de les priver des moyens d’agir, notre pays va s’engager dans une récession plus lourde encore. Il sera trop tard, alors, pour demander aux mairies, aux départements et aux régions, de panser les plaies. Elles n’en auront, tout simplement, plus les moyens.