Rencontre des Verts européens ? Montreuil : le discours d’accueil de Dominique Voynet
Depuis jeudi, les Verts européens sont réunis ? Montreuil, pour évoquer la présidence française de l’Union européenne et mettre la touche finale ? leur programme pour les élections européennes de juin 2009. Dominique Voynet, maire de Montreuil, prononçait jeudi soir le discours d’ouverture et d’accueil des délégués.
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Mesdames, messieurs, Chers amis, chers camarades,
Bienvenue ? Montreuil, bienvenue en Seine saint Denis,
Vous êtes ici chez vous, dans un département que les commentateurs considèrent comme un des plus pauvres d’Europe, et que nous considérons, nous, comme l’un des plus porteurs d’innovation sociale, écologique et démocratique.
Vous êtes ici dans une ville de 105 000 habitants, qui fut un gros bourg horticole aux portes de Paris avant de devenir une ville industrieuse, ouvrière, populaire, une ville gérée pendant 70 ans par le Parti Communiste Français, et où des pages importantes de l’histoire de ce parti ont été écrites. Montreuil, ce n’est pas dans l’imaginaire de ce pays, dans l’histoire de la gauche, n’importe quelle ville. Que ses habitants aient confié il y a six mois ? une militante écologiste et ? son équipe bigarrée – des Verts, des socialistes, des citoyens – le soin de commencer ? reconstruire l’espérance et l’avenir, n’est pas juste un caprice du hasard.
Montreuil, ville de banlieue aux portes de Paris, a payé et paie encore l’addition d’une conception débile du progrès humain, hélas largement partagée dans la seconde moitié du 20 ème siècle? : un urbanisme brouillon et brutal, des sols pollués, une autoroute qui coupe la ville en deux, des grands ensembles de bureaux, des zones industrielles bâclées, et 38 % de logements sociaux, concentrés dans des quartiers mal desservis par les transports en commun. Mais aussi des ateliers d’artistes par centaines, des friches artisanales, des jardins biscornus, des toits de verre et d’acier, des parcs sauvages, où font halte les oiseaux migrateurs, des lieux atypiques qui continuent ? attirer plasticiens, écrivains et cinéastes.
Montreuil, dont un baraquement misérable servit quelques mois d’hébergement ? Jacques Brel, l’expatrié européen, avant qu’il ne s’installe avec sa famille dans une petite maison.
Montreuil, ville-monde, carrefour de 70 nationalités au moins, 90 peut-être, terre d’accueil pour tant d’immigrés, d’exilés, d’expatriés, des Bretons et des Basques, des Sénégalais et des Maliens, des Rroms et des Tamouls, des Chiliens et des Portugais, des Kurdes et des Kabyles…
Montreuil n’ira donc bien dans l’avenir que si nous sommes capables de faire face ensemble aux urgences de la planète, que si nous parvenons ? tenir la promesse d’un modèle européen de vivre ensemble.
Sachez le? : la première mesure que nous avons prise en arrivant ici n’a pas été de hisser le drapeau vert sur la mairie et les écoles, mais le drapeau bleu étoilé de l’Europe.
Ce modèle européen, auquel nous avons rêvé dans les vingt dernières années est aujourd’hui gravement mis en cause par les droites européennes libérales, conservatrices et autoritaires.
Dans les années 80, une partie de la gauche européenne, une partie de la droite aussi, ont été capables de s’arracher des contentieux et des tragédies de l’histoire – l’Europe, c’est d’abord la paix, et je veux ne l’oublier jamais – et de proposer ? nos peuples un compromis porteur d’espoir? qui reposait en gros sur l’engagement suivant? :
«? Avançons progressivement. Construisons le grand marché, faisons tomber les barrières des échanges. Quand nous aurons construit l’Europe économique viendra le temps de l’Europe politique, puis de l’Europe sociale? ».
Les peuples d’Europe ont accepté de jouer le jeu de cette promesse, ? laquelle s’est progressivement ajoutée – un peu sous la pression des écologistes, beaucoup parce que les indices d’une dégradation accélérée de la planète et d’un bouleversement du climat de la terre se multipliaient – l’exigence d’un continent plus respectueux de l’environnement et du capital écologique de la planète.
A la chute du mur qui divisait l’Europe forgée par notre histoire commune, cette espérance a heureusement progressé vers l’Est.
Nos peuples ont eu la paix sur leur propre continent, ils ont vu se créer le grand marché, avec ce que cela supposait de remises en question et d’efforts, ils ont constaté, s’agissant en tout cas des Français, que souvent l’Europe les tirait en avant en matière d’environnement.
Mais depuis quelques années, ils ressentent une panne d’Europe? : ils n’aperçoivent ni progrès politique, ni convergence fiscale, ni politiques sociales communes.
Et l’horizon mondial s’assombrit de menaces de conflits et de montée du terrorisme, dont l’alliance des 27 ne semble plus les protéger vraiment.
Certes, les gauches en Europe, c’est peu de le dire, n’ont pas été toujours ? la hauteur de leurs responsabilités.
Mais depuis 10 ans au moins, les droites européennes au pouvoir, en rupture avec le projet initial, s’acharnent ? détruire le compromis fondateur de l’espérance continentale.
Nous voyons comment l’Europe s’aligne en matière d’immigration, sur ce qu’il y a de plus restrictif, c’est ? dire la politique du gouvernement français ou du gouvernement italien.
Nous voyons depuis des années l’impossibilité qu’il y a ? bâtir une politique industrielle innovante, une politique agricole écologiquement responsable, une politique énergétique anticipatrice.
Nous voyons l’incapacité ? promouvoir une diplomatie commune pour contribuer ? résoudre les conflits israélo-palestiniens ou turco-kurdes ? nos portes, pour nous préserver de l’escalade guerrière en Afghanistan, et pour ne pas nous enfermer, en Géorgie, dans le choix absurde entre l’adhésion l’Otan et le silence face ? l’hégémonisme russe.
Et nous voyons ces derniers jours les cafouillages européens en réaction ? la crise financière, des jours marqués par la méfiance franco-allemande, et le chacun pour soi, quoi qu’en disent les communiqués victorieux du Président français.
Nous nous étonnons ainsi, en matière de critères de convergence et de pacte de stabilité, que ce qui a été présenté comme impossible pour lutter contre le chômage, pour la santé, ou pour la coopération avec le Sud, devienne subitement acceptable pour sauver les banquiers de la déroute, pour partager les pertes alors que ne s’est jamais posée celle des gains et des profits.
Alors nous sommes inquiets et nous pouvons légitimement nous demander si la construction européenne n’est pas atteinte jusque dans ses fondements par l’alignement systématique des gouvernements de droite sur un autre modèle que le modèle européen.
Il est donc temps de nous ressaisir et d’agir pour que l’Europe se ressaisisse.
La crise actuelle peut générer bien des replis populistes ou nationalistes.
Elle peut aussi, et elle doit aussi être l’occasion pour tous les peuples, si nous nous faisons entendre, de reprendre cette marche en avant commune.
La crise que nous connaissons aujourd’hui en effet, est en réalité bien plus profonde qu’un simple krach financier ou même boursier? : elle appelle des réponses de long terme autrement plus fortes qu’un simple rafistolage du système actuel? .
Il faudra bien sûr demain inventer de nouvelles formes de régulation notamment européennes. Fixer des règles prudentielles aux banques, revoir les conditions de surveillance des marchés, interdire les stocks options et les parachutes dorés, faire la chasse aux paradis fiscaux, constituer un réseau européen de pôles financiers publics, revoir le rôle des grandes institutions comme le FMI, la Banque européenne ou la Banque mondiale, avancer dans le gouvernement économique de l’Europe.
Mais il faudra surtout prendre une autre voie et rebâtir les fondements d’une autre économie. Car la crise que nous vivons, dont la manifestation est aujourd’hui financière, est en fin de compte une convulsion, un symptôme des contradictions fondamentales du modèle de développement de ce dernier quart de siècle.
En transformant l’économie planétaire en économie de casino, en confinant les pays du sud au rôle d’atelier manufacturier du monde, grâce au prix dérisoire du travail, ? l’absence de règles sociales et environnementales, et au coût très bas du transport, en ruinant les agricultures paysannes, en détruisant de façon accélérée la ressource écologique, en disséminant la guerre pour l’appropriation de la rente écologique, ce système a sapé ? un rythme accéléré jusqu’aux bases de sa propre croissance .
Il a au fond commencé ? détruire les compromis sociaux et les ressources écologiques sans lesquels aucune économie ne peut prétendre produire et partager durablement quelque forme de richesse que ce soit.
C’est pourquoi l’essentiel aujourd’hui n’est certainement pas ? mes yeux de faire renaître la confiance dans la solidité d’un système financier non seulement moralement scandaleux mais de plus profondément anti-économique…
L’essentiel est de s’attaquer ? la refondation d’un projet global de transformation en commençant en Europe.
Voil? pourquoi la campagne électorale du printemps est si importante, voil? pourquoi votre réunion de ces jours ci ? Montreuil est tellement attendue.
La situation dans chaque pays est particulière et je me félicite que les Verts s’efforcent, au Parlement européen, de construire au cas par cas les majorités d’idées qui sont nécessaires pour résister aux mauvais vents qui soufflent.
Vous devez cependant savoir qu’il n’en est pas ainsi chez nous.
Nous faisons face en France comme en Italie, ? l’un des gouvernements de droite les plus décomplexés d’Europe, ? l’un des agents les plus actifs des lobbies anti-écologistes.
A l’un de ceux qui a décidé de s’attaquer avec la détermination la plus acharnée ? l’Etat providence, ? la sécurité sociale, au pluralisme de la presse, aux droits des travailleurs migrants, aux politiques sociales des collectivités locales.
A un gouvernement qui s’est fait le VRP mondial du nucléaire, qui continue malgré les beaux discours, ? appeler ? la condamnation des militants de la lutte contre les OGM.
Voil? pourquoi la campagne européenne en France, que nous mènerons activement avec Dany, sera clairement ancrée ? gauche et antigouvernementale.
La gauche traditionnelle est, chez nous comme dans bien des pays européens, en grande difficulté? : elle n’est pas parvenue, pas encore, ? mettre les grandes questions écologiques au cœur de ses raisonnements, et ? aller au del? de la revendication d’une simple régulation de l’existant.
Mais entre une gauche velléitaire et une droite meurtrière, les écologistes en France ont fait leur choix il y a 20 ans et ils ne reviendront pas en arrière.
Il fallait que cela fut dit, quand certains – pas moi, pas vous? ! – semblent tentés par un «? grand n’importe quoi? » sans valeurs et sans principes, qui permettrait, au prix d’une révision de l’histoire et sur la base du rapport de forces d’un instant, de faire élire quelques camarades, d’obtenir quelques concessions périphériques sur tel ou tel dossier environnemental, et de disputer aux Verts français l’espace de l’écologie politique.
Assez parlé de la France? ! Et revenons ? l’Europe. Tant que notre opinion publique considérera que l’Europe, l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, est l’instrument privilégié des politiques de régression, alors les adversaires de l’Europe en général joueront sur du velours.
Telle est la très amère expérience qu’ont fait chez nous les partisans, dont j’étais évidemment, du «? oui? » au référendum sur la ratification du traité constitutionnel européen.
Pour qu’émerge, dans le contexte de crise, une alternative véritable au modèle dont nous constatons aujourd’hui les soubresauts, nous devons donc porter au cœur de la bataille, contre les archéo-libéraux et les conservateurs, le projet d’une Europe sociale, écologique, démocratique forte.
Je suis bien certaine que les réflexions et le programme qui sortiront de ces journées iront dans ce sens l? .
Nous sommes heureux ? cette occasion d’apprendre de vous, d’échanger avec vous, de renforcer notre solidarité dans les combats communs.
Merci et bon travail.