Réforme territoriale : un projet de loi ? visée recentralisatrice
Après le vote en décembre, par la Haute Chambre, du premier volet de la réforme territoriale, les Sénateurs ont commencé, mardi 19 janvier, l’examen du projet de loi intitulé « Réforme des collectivités territoriales ».
Mais alors que le Président de la République avait annoncé une simplification de l’organisation territoriale, ce projet la rend encore plus complexe. Pire, il enclenche un mouvement recentralisateur inquiétant : suppression de la clause de compétence générale, création politicienne de conseillers territoriaux élus ? un seul tour de scrutin, renforcement des prérogatives des préfets…
Retrouvez le discours prononcé par Dominique Voynet lors de la discussion générale :
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« Soit on réforme, soit on ne réforme pas ! »
Lors de ses voeux aux Parlementaires pour l’année 2009, c’est par ces mots prometteurs que le Président de la République avait tenté, en présentant ses vœux aux parlementaires pour l’année 2009, de répondre aux inquiétudes suscitées, y compris au sein de sa majorité, par la frénésie législative qui semblait s’être emparée de lui.
Nous pouvons témoigner que Nicolas Sarkozy a tenu ses promesses en 2009 ! Ceux qui, parmi vous, espéraient que la loi serait élaborée minutieusement, avec sagesse et prudence, en sont encore pour leurs frais. Ceux qui n’avaient jamais imaginé que le Conseil constitutionnel, gardien de notre loi fondamentale, garantie de la démocratie et de l’État de droit, puisse être si ouvertement contesté, accusé de nuire aux ambitions « court-termistes » de ce régime, en perdent aujourd’hui leur latin. Silence, on réforme ! Procédure accélérée et vote conforme : telle est la méthode généralement employée.
Je l’admets, concernant le projet de réforme territoriale que nous examinons aujourd’hui, la recette est sensiblement différente, mais la saveur n’en reste pas moins familière : il est ici une nouvelle fois question de concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif et d’affaiblissement de tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, ? un contre-pouvoir.
La nécessité d’améliorer l’organisation territoriale de la France fait pourtant l’objet d’un assez large consensus : rendre son cadre institutionnel plus lisible pour les citoyens est un enjeu démocratique majeur. C’est pourquoi personne dans cet hémicycle, me semble-t-il, n’est attaché au statu quo. La clarification de la répartition des compétences, de plus en plus nombreuses, assumées par les collectivités, la réaffirmation de leur autonomie financière – pourtant déj? inscrite dans la Constitution –, la simplification des circuits de décision : autant de pistes pour perfectionner l’architecture territoriale de notre pays.
En dépit des grands discours annonçant une véritable révolution territoriale, malgré la réunion d’un comité réunissant des compétences reconnues, ce projet de loi apparaît, en premier lieu, extrêmement décevant. Loin de simplifier le fameux mille-feuille français, tant décrié, il le rend encore plus complexe !
Monsieur le ministre, je vous mets au défi d’expliquer de manière compréhensible aux citoyens la différence entre les métropoles, les pôles métropolitains, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les simples communautés de communes ! Pourriez-vous préciser quelle simplification vous percevez dans le fait qu’un certain nombre de compétences, relevant jusqu’ici des conseils généraux, pourraient désormais être confiées aux métropoles ? Le projet de loi prévoit que, dans les départements comprenant une métropole, les conseils généraux exerceront des compétences différentes dans les territoires compris dans la métropole et dans le reste du département ! Pis encore : deux départements limitrophes n’auront pas les mêmes compétences selon qu’ils accueilleront ou non une métropole !
Par ailleurs, ce projet de loi entend faciliter les fusions de régions et de départements. Mais, concernant les départements, quel résultat pensez-vous donc obtenir, sinon la constitution de départements plus vastes, perdant en quelque sorte la proximité qui faisait jusqu’ici la pertinence de cet échelon en matière sociale, sans pour autant consolider leur compétences ? Des compétences égales, voire diminuées s’ils accueillent une métropole, exercées sur des territoires plus vastes : est-ce l? une amélioration ?
Bien sûr, ce texte prévoit l’élection des délégués communautaires au suffrage universel direct : il était temps ! C’était devenu une urgence démocratique compte tenu de la place qu’occupent ? présent les intercommunalités dans le paysage local. Plus de la moitié des articles de ce projet de loi sont par ailleurs consacrés ? l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, qui constitue, en soi, une bonne chose. Mais dans la mesure où 93,1 % des villes françaises – ce chiffre figure dans votre rapport, monsieur Courtois – sont déj? impliquées dans une coopération intercommunale au 1er janvier 2009, vous conviendrez, monsieur le ministre, qu’il ne s’agit pas l? d’une avancée si extraordinaire !
J’ajoute que si les regroupements de communes et la constitution d’intercommunalités doivent effectivement être encouragés, nous sommes quelque peu préoccupés ? l’idée que les ordonnateurs en la matière, c’est-? -dire les préfets, puissent négliger le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. Nous restons vigilants sur ce point. N’y voyez pas une quelconque marque de défiance ? l’égard des préfets, monsieur le ministre, mais comme un certain nombre d’entre eux dirigent également les cabinets de membres du Gouvernement, comprenez que nous souhaitions nous assurer que des considérations politiques, voire politiciennes, ne polluent pas exagérément ce processus.
En résumé, ce texte, pourtant intitulé « projet de loi de réforme territoriale », ne répond aucunement aux objectifs annoncés. Il ne simplifie pas l’organisation territoriale de la France et reporte ? un projet de loi ultérieur l’examen de la question de la répartition des compétences. La juxtaposition des différentes mesures de ce projet de loi dresse en outre un tableau pour le moins flou de l’organisation territoriale de demain. Je prendrai un simple exemple ? cet égard : le Gouvernement avait annoncé vouloir renforcer les régions françaises pour qu’elles puissent supporter la comparaison ? l’échelle de l’Europe ; pourtant, ce projet de loi menace doublement les régions, d’abord parce qu’il prévoit de supprimer leur clause générale de compétence, réduisant d’autant leur capacité motrice, ensuite parce qu’il institue des conseillers territoriaux siégeant ? la fois dans les conseils régionaux et dans les conseils généraux. Ces conseillers, élus au sein de leurs départements respectifs, pourraient bien être tentés d’adopter une vision des problèmes centrée sur les intérêts du département dont ils sont issus, aux dépens de considérations et d’enjeux régionaux plus globaux.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelle logique cohérente a bien pu présider ? l’élaboration de ce texte ? Vous donnez l’impression de ne pas savoir quoi faire du département, mais vous le placez dans le même temps en position de sursis. Ceux qui faisaient mine de vous croire quand vous prétendiez ne pas vouloir étrangler financièrement les collectivités locales en réformant la fiscalité locale pourraient bien finir par ouvrir les yeux !
Alors, ? quoi peut donc bien servir ce projet de loi ? L’essentiel semble dit en quelques mots dès l’article 1er : s’il consacre effectivement l’avènement des conseillers territoriaux après qu’un premier texte, en décembre dernier, eut annoncé leur création en 2014, le plus important, c’est-? -dire le mode de scrutin pour l’élection de ces nouveaux conseillers et les compétences qu’ils exerceront, est encore reporté ? un futur projet de loi. Cette méthode a un nom : le teasing. Habilement organisé, ce teasing législatif nuit évidemment au fonctionnement démocratique de nos institutions. Je me permets de vous le rappeler, monsieur le ministre : les parlementaires sont censés connaître la loi qu’ils ont ? voter, et les citoyens pouvoir la comprendre !
Néanmoins, nous sommes avertis : pour l’élection de 80 % des futurs conseillers territoriaux, c’est un scrutin uninominal ? un tour reste prévu. On en discute encore, semble-t-il, en haut lieu, mais la logique est claire : il s’agit de reprendre le pouvoir qui échappe ? l’UMP au sein des collectivités territoriales, en espérant emporter la mise avec une majorité relative de 30 % ? 35 % des suffrages seulement au premier et unique tour de scrutin. Tel est le grand dessein de la réforme concoctée par le Président de la République !
Dérogeant ainsi aux principes démocratiques qui ont jusqu’ici prévalu, le projet de loi s’expose ? un possible rappel ? l’ordre constitutionnel. Peu importe : chantre d’une rupture qui conduit de toutes parts au délitement de la cohésion nationale, le Président de la République n’en est plus ? une fracture près… Après l’audiovisuel public, l’hôpital, le projet recentralisateur du Grand Paris, dont l’examen a été prudemment reporté après les élections régionales, et en attendant une réforme de la justice qui suscite de nombreuses et légitimes inquiétudes pour l’indépendance de celle-ci, il fallait remettre la main, coûte que coûte, sur les pouvoirs locaux.
Que n’avons-nous pas entendu pour justifier cette entreprise ! Les élus locaux seraient trop nombreux, ils seraient de mauvais gestionnaires, se complaisant dans une gabegie dispendieuse. Ils sont devenus, dans la bouche du chef de l’État, la cause de tous les maux. Cette vision erronée ignore évidemment les mises en garde de la Cour des comptes, qui a récemment expliqué que, au-del? des déficits abyssaux qui caractérisent la conduite de la France par le gouvernement actuel, lorsque les collectivités territoriales se voyaient transférer des compétences jusque-l? assumées par l’État, induisant le recrutement de personnels, sans pour autant percevoir les dotations financières correspondantes, l’administration centrale de l’État omettait d’ajuster ses propres effectifs. Par conséquent, on peut craindre que la vindicte présidentielle ne relève avant tout d’une posture tacticienne, étrangère ? l’intérêt général.
J’en veux pour preuve qu’il fut une époque où Nicolas Sarkozy semblait voir dans les collectivités territoriales plus une opportunité qu’une menace pour la France. N’a-t-il pas lui-même écrit ces mots, dans un ouvrage publié en 2001 : « Une nation moderne est une nation qui revendique la décentralisation. Un État moderne est celui qui organisera son efficacité en reconnaissant qu’il lui est impossible de tout régenter, diriger, organiser. »
En conclusion de mon intervention, face aux visées jacobines et claniques qui semblent sous-tendre ce projet de loi, j’en appelle au sursaut républicain de l’ensemble des membres de cette assemblée, puisqu’ils représentent les collectivités territoriales, mises ? mal par ce projet de loi.