Réforme des collectivités territoriales : le train de l’enfer territorial arrive ? destination
A l’occasion de la séance publique du mardi 9 novembre, Dominique Voynet est intervenue pour expliquer son vote sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur la réforme des collectivités territoriales.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la décentralisation et la déconcentration, en donnant aux régions la possibilité d’être elles-mêmes, d’être fidèles ? leurs traditions, ? leurs langues, ? leur culture, et en créant un équilibre harmonieux entre le pouvoir central et les collectivités locales, feront disparaître les causes de conflit. Loin d’affaiblir l’unité nationale, elles la renforceront. » Comment, en cet instant, ne pas entendre les paroles prononcées par Gaston Defferre en 1981, ou celles de Pierre Mauroy, ici même, voil? quelques semaines ?
Au moment de dresser le bilan de ces dix mois de discussion, il convient de nous poser les bonnes questions, de faire disparaître les causes de conflit et de renforcer l’unité nationale. Le Sénat assure, en vertu de l’article 24 de la Constitution, la représentation des collectivités territoriales, ce qui lui a valu le privilège d’examiner cette réforme avant l’Assemblée nationale – nous ne nous lasserons pas de le répéter, puisqu’il reste si peu de son travail dans le texte final. Dix mois se sont donc écoulés depuis le début de l’examen de ce texte. Ils ont été riches en rebondissements : on nous a maintes fois promis que le temps viendrait d’un débat approfondi sur les compétences respectives des collectivités et sur les modes de scrutin préservant la parité, la proportionnelle et l’identité des territoires et des collectivités qui les représentent. Simplifier le millefeuille institutionnel français, clarifier les compétences des uns et des autres en conjuguant efficacité et transparence, réformer la fiscalité locale dans un souci de justice et de solidarité : il ne reste rien de ces nobles ambitions. À vrai dire, personne n’y retrouve ses petits ! Il suffit, pour s’en convaincre, de demander ? tour de rôle aux défenseurs des départements, puis des régions ce qu’ils pensent de l’équilibre général du texte et de ses conséquences pour ces collectivités.
Il est amusant de voir ? quel point les champions des départements craignent que ce texte n’affaiblisse le poids des départements au profit des régions. Il est non moins amusant de constater que, de façon parfaitement symétrique, les défenseurs des régions considèrent que ce sont les départements qui ont gagné… Tous, en revanche, ont bien compris que les communes, aux premières lignes de la réforme, paieront les conséquences de l’affaiblissement et de ceux-ci et de celles-l? . Pourtant, personne n’a l’air de s’en soucier. Il faut dire que tout le monde sait que ce projet de loi, comme celui portant réforme des retraites, plus encore que le texte qui a créé la Société du Grand Paris, risque de ne pas être appliqué, tout simplement parce qu’il est inapplicable. Au fond, chacun dans cette enceinte espère que la gauche aura la sagesse de revenir sur ce galimatias indigeste en 2012. Pour s’en convaincre, il suffit de circuler dans les couloirs du Sénat ou de voir ce qui se passe dans les commissions, par exemple au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et ? la décentralisation, où ce ne sont que haussements d’épaules, bons mots et soupirs entendus. Parmi toutes les familles composant la droite, on doute de l’intérêt du présent texte. Reste que tout se passe comme si le contenu de ce dernier importait peu. C’est parce que tout autre chose est en jeu : c’est une histoire de pouvoir et de rapport de force, sans que l’on sache bien d’ailleurs si l’on se trouve chez Shakespeare ou chez Nanni Moretti. C’est un pouvoir qui est inquiet de ne pas être assez absolu et de devoir se remettre en cause. C’est un pouvoir qui est incapable de balayer devant sa porte et de reconnaître que les collectivités territoriales pourraient inspirer l’État de par leurs efforts de conduite des projets ou leurs capacités d’innovation. C’est un pouvoir qui impose non pas son point de vue consolidé par la discussion et affiné par la réflexion, mais un point de vue jeté dans le débat de façon irresponsable, irréfléchie, et qui devient la vérité révélée de la droite. La réalité complexe des territoires n’est pas prise en compte ? Qu’importe ! La façon dont les dizaines de milliers d’élus locaux exercent ou assument leurs responsabilités dans des situations extrêmement diverses ne « colle » pas ? ce qui nous est proposé ? Qu’importe ! Ce qui compte, c’est de mettre la majorité au pas, de gagner le bras de fer engagé avec les centristes, de réduire toute voix divergente au silence, de montrer qui est le patron. On imagine les pressions, les menaces, feutrées ou pas, qu’il a été nécessaire de déployer pour faire rendre gorge aux irréductibles, pour humilier les dissidents, pour punir les rebelles.
Pas ? pas, c’est ? une dénaturation en profondeur des équilibres institutionnels que nous assistons. Il n’est pas un démocrate qui puisse s’en accommoder. C’est aussi pour cette raison que, au-del? du contenu même du texte, les Verts voteront avec l’ensemble du groupe socialiste contre ce projet de loi, sur lequel il faudra revenir le plus rapidement possible.