Quand il arrive au Sénat d’être utile…
Un rapport sénatorial pointe les risques des agrocarburants
Une fois n’est pas coutume, je veux, pour finir l’année, saluer le travail de deux « collègues » sénateurs, Claude Saunier (PS) et Pierre Laffitte (UMP). Dans un rapport consacré ? l’effondrement de la biodiversité, rendu public le 11 décembre, ils pointent les risques liés au développement des agrocarburants et réclament un moratoire européen sur ces cultures. « L’objectif européen d’inclure, d’ici 2012, 5,75 % de biocarburants dans les combustibles automobiles partait d’une excellente intention. Mais s’appliquant ? des technologies dont le bilan carbone reste très discutable, sa réalisation a eu des effets pervers tant sur la biodiversité européenne que sur la biodiversité mondiale. En Europe, cette politique a eu pour conséquence d’activer le forçage des sols et, dans certains cas, d’aboutir ? la suppression des mesures qui avaient été établies pour préserver la biodiversité des milieux agricoles. Ainsi, en France, on a supprimé l’obligation de maintenir les bandes enherbées aux abords des champs de colza situés près des ruisseaux, pour accroître les surfaces destinées ? la production de biocarburant. A l’extérieur de l’Europe, cette poussée de demande de biocarburants a été un des facteurs d’accélération de la déforestation tropicale, en particulier dans le Sud-Est asiatique. »
On ne saurait mieux résumer les raisons pour lesquelles les écologistes se sont élevés contre la fausse bonne idée de ces « biocarburants » qui n’ont d’ailleurs rien de bio. Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit ? l’alimentation, va dans le même sens, lorsqu’il rappelle que « pour faire un plein de 50 litres avec du bioéthanol, il faut brûler 232 kg de maïs. Avec ça, un enfant zambien ou mexicain vit une année ».
Il y a moins d’un an, ces « carburants verts » étaient présentés comme la solution miraculeus au choc énergétique. Aujourd’hui, on admet que les agrocarburants posent infiniment plus de problèmes qu’ils ne peuvent en résoudre.
Aussi peu écologistes que suspects de l’être, Claude Saunier et Pierre Laffitte s’étaient déj? distingués, voil? quelques mois, par un très intéressant rapport sur le changement climatique. Leur travail nous bouscule, pas tant sur le fond (puisqu’ils reprennent ? leur compte des analyses qui nous sont familières), que parce qu’il témoigne d’une réelle prise de conscience de la complexité et de la gravité de la crise écologique, bien au del? des seuls militants de la première heure.
D’un côté, une sensibilité écologique plus forte, mais encore très inégale ; de l’autre une forte résistance au changement, que tente de masquer le recyclage de mots vidés de leur contenu. Les temps qui viennent seront difficiles pour les écologistes, et la question de leur utilité posée si, faisant preuve de naïveté ou d’aigreur, ils se montrent incapables d’éviter deux écueils : soit se réjouir un peu vite que, ça y est, la prise de conscience a eu lieu, tout le monde est désormais convaincu ; soit se plaindre que non, décidément, « ils » ne changeront jamais.
Il n’y a pas, il n’y aura pas de raccourci pour résoudre les grandes crises écologiques. Ni sur le plan technique, ni sur le plan politique. Raison de plus pour rester modestes, saluer les pas dans la bonne direction, d’où qu’ils viennent. Et reconnaître, en souriant, qu’il arrive qu’on se dise que le Sénat sert (parfois) ? quelque chose…