Projet de loi Logement : intervention de Dominique Voynet

Le Sénat examine, de mardi ? vendredi, le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, présenté par Christine Boutin, ministre du Logement et de la Ville. Dominique Voynet, qui suit pour les sénateurs Verts ce projet de loi, est intervenue ce soir en discussion générale.

Le logement, une grande cause nationale.?Le logement, un droit, dont l’Etat est le garant.?Et pourtant…

Le logement constitue toujours le premier poste du budget de la plupart des familles, qui se sont endettées lourdement, qui peinent ? assumer des loyers, et des charges, devenus insupportables, et de plus en plus souvent, craignent de ne pouvoir faire face. Y a-t-il jamais eu – depuis 50 ans – autant de mal logés dans notre pays ? Y a-t-il jamais eu autant de pas logés du tout ?

La situation est grave. Et vous nous proposez une loi. Encore une loi ? Cinq textes votés en cinq ans n’ont pas changé la donne, et c’est d’un sixième que viendrait le salut ? ?

Vous avez trop d’expérience, Madame la Ministre, pour ne pas le savoir. Ce qui fait une bonne loi, ce n’est pas l’emphase des discours prononcés ? cette tribune, ni l’épaisseur du dossier de presse diffusé par les services de comm du ministère? ! C’est la ténacité avec laquelle sont préparés, et promulgués en temps et en heure, les décrets qui permettent son application effective? ! C’est la combativité avec laquelle seront défendus les budgets sans lesquels la loi restera lettre morte. En un mot, c’est la cohérence et la continuité des efforts de l’Etat lui-même, surtout quand il demande ? d’autres d’en faire aussi.

A quoi bon mettre en place de nouveaux outils, quand l’efficacité des dispositifs concoctés dans les lois précédentes n’est pas évaluée? ? A quoi bon débattre pendant des semaines d’un nouveau texte quand les lois précédentes ne sont ni appliquées, ni financées? ? Et quand l’impulsion politique manque, qui seule permettrait de motiver tous les départements ministériels? ?

Un seul exemple, Madame la Ministre. L’objectif est connu de tous, largement débattu, unanimement partagé… Il s’agit de produire 500? 000 logements nouveaux par an, dont 120? 000 – le quart? ! – de logements sociaux. En Ile de France, c’est 60? 000 logements qu’il faut construire chaque année au cours des 25 prochaines années, comme l’établit le Schéma directeur de la Région Ile de France (SDRIF), adopté par la Région il y a quelques jours. Soient 8? 800 logements neufs par an en Seine-St-Denis par exemple. Et 800 pour la seule ville de Montreuil. Comment y parvenir? ? Dans les quartiers desservis par le métro, le foncier est rare et cher, trop cher pour permettre de construire massivement des logements accessibles. Et l? où il y a du foncier disponible, il n’y a pas de moyens de transports? ! Alors, Madame la Ministre, ce qu’on attend de l’Etat dans ce département, c’est aussi qu’il intervienne de façon cohérente, en faisant bosser ensemble la ministre du Logement et le ministre des Transports. Est-ce vraiment trop demander? ?

Qu’y a-t-il dans votre projet pour changer la donne? ? Une main-mise de l’Etat sur une partie des fonds du 1%, appelés ? financer l’ANAH et l’ANRU? ? Une tentative un brin sournoise de revenir sur l’obligation faite aux communes de construire 20 % de logements sociaux? ? Un durcissement des conditions d’accès? au logement social, au risque de briser le peu de mixité sociale qui y existe? ? Le raccourcissement des délais d’expulsion? ?

Qu’avez-vous dans la main? ? Un budget en baisse de 6,9 %? ? Ou la décision de rachat de 30? 000 logements invendus, en état futur d’achèvement comme on dit? ? C’est difficile, Madame la Ministre, même en étant très optimiste et très complaisant, d’y voir autre chose qu’une mesure conjoncturelle de soutien aux promoteurs? déstabilisés par la crise du crédit.

Construire du neuf, donc, et réhabiliter l’ancien, avec le souci de répondre, sans tarder, aux besoins d’aujourd’hui? : engager la décohabitation des familles entassées dans des logements exigüs, accélérer la résorption de l’habitat insalubre, traquer les marchands de sommeil, loger dans des conditions décentes les résidents des foyers de travailleurs migrants…

Avec le souci du long terme aussi, car les investissements d’aujourd’hui préparent les économies de demain. L? encore, on est loin du compte. Si des moyens importants sont mobilisés, via l’ANRU, dans de coûteuses opérations de démolition-reconstruction, il reste difficile d’engager, sinon de façon anecdotique, les grands chantiers de réhabilitation des logements vite et mal construits dans les années d’après-guerre. Isoler les logements, pour réduire les consommations d’énergie et donc les charges, améliorer le confort, réduire les tensions liées au bruit… Peut-on faire l’impasse sur ces exigences? tant sociales qu’écologiques? ?? Je n’ai que quelques minutes, Madame la Ministre, pour vous demander, comme le font, et le rapporteur du projet de loi, et la Commission des Affaires économiques, de cesser de cautionner les efforts de certains parlementaires, qui persistent avec une obstination un rien pathologique ? remettre en cause l’article 55 de la loi de Solidarité et de Renouvellement urbain (SRU). Ils mènent un combat d’arrière-garde, incompris des Français.

Que quelques minutes pour vous demander de prendre en compte l’une des excellentes propositions d’Etienne Pinte? : que chaque nouveau programme de logements comporte 30 % de logements sociaux, et qu’un tiers au moins de ces nouveaux logements soient des logements très sociaux, des PLAI.

S’il me reste quinze secondes, que ce soit pour vous demander de renoncer au dispositif prévu pour faciliter les expulsions locatives. Et pour vous demander de réexaminer les mesures proposées pour restreindre l’accès au logement social aux publics les plus précaires. Le principe est séduisant, les effets pervers peuvent être dévastateurs.

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