Projet de Loi de Finances : intervention de Dominique Voynet sur le budget de la mission « Action extérieure de l’Etat »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, je souhaite, si vous le permettez, concentrer mon intervention sur la présidence française de l’Union européenne, qui va se terminer dans quelques semaines.
Au moment même où nous débattons se tient ? Poznan la Conférence internationale sur le changement climatique. L’Union européenne, vous le savez, y est particulièrement attendue.
Bien sûr, cette conférence de suivi du protocole de Kyoto est perçue comme intermédiaire. Le rendez-vous le plus crucial, celui qui devra engager le monde dans l’après-Kyoto, aura lieu l’an prochain, ? Copenhague. Si c’est une administration américaine défaite qui, ? Poznan, représente les États-Unis, nous savons que le président élu, Barack Obama, s’est engagé ? ce que son pays adopte une autre politique et se fixe d’autres ambitions, en matière de lutte contre le changement climatique.
Barack Obama ne prenant ses fonctions que le 20 janvier prochain, la conférence de Poznan se déroulera, pour ainsi dire, en apesanteur : il s’agira effectivement, pour l’Union européenne et pour les autres parties prenantes, de négocier avec des représentants américains dont chacun sait bien qu’ils n’ont plus la main. Cet étrange jeu de dupes serait amusant s’il ne s’agissait – nous en conviendrons tous ici – d’affaires si graves.
C’est en tout cas, monsieur le ministre, une raison supplémentaire pour que l’Union européenne ne faille pas ? son rôle pionnier dans la lutte contre le dérèglement climatique. C’est pourquoi la France, qui préside actuellement l’Union, doit elle aussi se montrer exemplaire.
De ce point de vue, je dois bien avouer que j’ai quelques inquiétudes. On connaît les aléas du paquet climat-énergie, dont personne ne sait, ? l’heure actuelle, s’il pourra effectivement être adopté avant la fin de l’année ni, surtout, s’il est adopté, dans quel état il le sera.
Il y a quelques jours, un compromis sur la future réglementation européenne visant ? obliger les constructeurs ? réduire les émissions de CO2 des voitures neuves a été conclu entre les États membres de l’Union, le Parlement européen et la Commission européenne. Ce compromis, permettez-moi de le dire aussi franchement que simplement, est déplorable. L’objectif de réduction des émissions de CO2 par kilomètre passe d’une moyenne de 120 grammes ? une moyenne de 130 grammes et, au surplus, le délai laissé aux constructeurs pour l’atteindre s’allonge : il n’expire plus en 2012 mais en 2015.
Je ne veux pas être pessimiste, mais quand même : hier, le Président de la République a annoncé une prime au retrait des voitures vieilles de dix ans au profit de voitures neuves ? condition que ces dernières n’émettent pas plus de 160 grammes de CO2 par kilomètre. Voil? qui est encore plus laxiste. Ce n’est pas bon signe.
Ce compromis entache nettement la présidence française de l’Union, alors que la lutte contre le dérèglement climatique avait été érigée en priorité, ce qui était une bonne chose.
Vous me répondrez, monsieur le ministre, que le Président de la République n’a ménagé ni ses efforts ni son énergie et qu’il a fait preuve d’un volontarisme considérable. Je vous entends d’ici : « Voyez la Géorgie ! Voyez la crise financière ! La France présidente de l’Union européenne a hissé haut les couleurs de l’Europe ! »
Je vous le concède, monsieur le ministre : vous avez fait preuve de constance, de sérieux et d’efficacité, et M. le secrétaire d’État aux affaires européennes peut-être davantage encore. Si j’en crois la presse, il a plus d’une fois remplacé tel ou tel membre du Gouvernement qui peinait ? se rendre ? Bruxelles pour y négocier avec les services de la Commission, les parlementaires ou les représentants des États membres. (M. le ministre fait un signe d’approbation.) Plus d’une fois, il a su et pu dénouer malentendus, difficultés et blocages. Je crois que chacun est disposé ? le reconnaître, dans cet hémicycle et ailleurs, ? droite comme ? gauche.
Alors, s’il faut le dire, je vous le dis : ces six derniers mois, la France a plutôt bien mérité de l’Europe. Elle a été meilleure élève qu’elle ne l’a bien souvent été dans son histoire, notre attitude passée nous valant, chez une bonne partie de nos voisins, la fâcheuse réputation de n’être européens que du bout des lèvres et de persister ? ne voir l’Europe que comme une France en plus grand.
Cependant, si la France a été bonne élève ces six derniers mois, le sera-t-elle demain ? Ou reviendra-t-elle ? ses mauvaises habitudes ? (M. le ministre sourit.)
En termes plus crus, le Président de la République, une fois qu’il aura quitté la présidence de l’Union, saura-t-il poursuivre dans cette voie ou renouera-t-il avec son affligeante manie de contester toute décision européenne comme une pitrerie de technocrates et de traiter nos partenaires comme des subalternes qui devraient, en constatant l’excellence française, le supplier de prendre une nouvelle présidence, celle du gouvernement économique européen ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Est-ce bien une question ?
Mme Dominique Voynet. Voil? qui peut susciter quelques interrogations, monsieur le ministre. Notre comportement au cours des prochaines années sera-t-il conforme ? celui des six derniers mois ?
Si la cohérence d’une action politique se mesure, évidemment, dans les choix budgétaires, elle se mesure aussi dans les valeurs qui sous-tendent ces choix. De ce point de vue également, j’aimerais que vous puissiez me rassurer.
En matière de politique étrangère, les choix de la France sont parfois courageux, et l’on veut croire que votre présence au Gouvernement, dont je ne veux pas discuter ici l’opportunité politique, a été assez liée ? cette volonté affichée de rompre avec la vieille diplomatie pour lui préférer une action extérieure fondée, si je me souviens des engagements de campagne du Président de la République, sur la protection des droits humains.
Hélas, les choix du Gouvernement ont parfois été très peu éloignés de la vieille diplomatie : la rupture n’était guère visible. Je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler les conditions du séjour en France du dirigeant libyen Kadhafi, la mégalomanie invraisemblable du dictateur et la déplorable faiblesse avec laquelle il fut accueilli.
Je m’attarderai davantage sur la Chine, puisque le Président de la République rencontre demain le dalaï-lama.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Enfin !
Mme Dominique Voynet. Comme toutes celles et tous ceux qui sont solidaires du combat du peuple tibétain, je me réjouis de savoir que cette rencontre, après avoir été annulée en août dernier, aura enfin lieu. Je me pose cependant une question, et je vous la pose évidemment : faudra-t-il, une fois passée cette rencontre, que la France s’excuse ? nouveau auprès du régime chinois ? Et s’excusera-t-elle ? Faudra-t-il que nous fassions comme nous avons fait après le passage bousculé de la flamme olympique ? Paris ? La France enverra-t-elle ? nouveau Jean-Pierre Raffarin offrir ? Pékin une nouvelle biographie du général de Gaulle ? Bref, changerons-nous encore une fois d’avis, et nous montrerons-nous très faibles pour faire excuser un acte de bravoure isolé ?
J’attends votre réponse, monsieur le ministre, mais quelque chose me dit qu’elle n’évoquera probablement pas les raisons pour lesquelles nous savons nous montrer si cléments avec Pékin, avec Téhéran et, hélas, avec bien d’autres !
Oserez-vous évoquer les intérêts de nos champions nationaux, celui des technologies ferroviaires, mais aussi celui de l’industrie nucléaire, si ? l’étroit ? l’intérieur de nos frontières qu’il offre ses technologies ? l’étranger ; des technologies si inquiétantes qu’on les livre qu’on les livre sous prétexte de désaliniser l’eau de mer, et ? des dirigeants dont on ne sait pas bien, ou dont on redoute de trop bien savoir quelles sont les intentions.
Je terminerai, si vous le voulez bien, sur un constat presque optimiste.
L’élection de Barack Obama ? la présidence des États-Unis, que beaucoup ? gauche et ? droite ont saluée, a brisé bien des tabous : non seulement aux Etats-Unis, sur la question raciale, mais aussi au-del? , sur deux points majeurs.
J’ai déj? évoqué le premier de ces points ; la lutte contre le changement climatique ; je n’y reviens que pour souligner que l’engagement des États-Unis dans cette bataille de laquelle ils sont totalement absents depuis la conférence de Kyoto peut considérablement changer la donne.
Le second point est la nécessité de régulations nouvelles, négociées de manière multilatérale.
Il s’agit d’abord des régulations économiques. L’OCDE, qui n’est pas suspecte d’être une officine de l’ultragauche, a publié récemment un rapport très critique sur les politiques menées depuis trente ans par ses États membres, d’ailleurs sur ses propres conseils. Selon l’organisation, ces politiques de déréglementation ont considérablement accru les inégalités. Elle ne reconnaît pas vraiment s’être trompée, et avec elle les gouvernements qui ont suivi ses indications, mais cela y ressemble.
Il s’agit ensuite des régulations dans les relations internationales et dans la prévention des conflits. Barack Obama s’est engagé ? renouer de manière apaisée le dialogue entre les États-Unis et ses partenaires, au premier rang desquels l’Union européenne.
Aussi, ma dernière question est-elle simple, monsieur le ministre : dans ce nouveau paysage, quelle sera la volonté de la France ? Quelles seront, encore une fois, la cohérence et la constance de son action ?
Le Président de la République, quittant la présidence de l’Union, reviendra-t-il ? l’alignement atlantiste qui a été le sien ? L’a-t-il, d’ailleurs, jamais vraiment quitté ? Poursuivra-t-on dans la voie d’une intégration européenne plus poussée en matière de défense commune ou devra-t-on constater que le choix privilégié, qui ne fait pas vraiment l’objet d’un débat démocratique, sera celui de l’OTAN ? Continuerons-nous, tête baissée, ? poursuivre en Afghanistan un effort de guerre sans issue dans les termes où il est porté aujourd’hui, où accepterons-nous de revoir, enfin, notre stratégie ?
Monsieur le ministre, au-del? des sujets strictement budgétaires, ce sont ? ces questions, et ? quelques autres qui ont été posées par mes collègues, que je souhaite vous entendre répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)