Polynésie : intervention de Dominique Voynet
Le Sénat étudiait aujourd’hui le projet de loi « tendant ? renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française ». Au cours de la discussion générale précédant l’examen du texte article par article, Dominique Voynet est revenue sur les raisons pour lesquelles elle s’oppose au projet de loi présenté par Christian Estrosi, Secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer.
On peut lire aussi, pour plus d’information, cet article récent de Rue89.
Le Sénat étudiait aujourd’hui le projet de loi « tendant ? renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française ». Au cours de la discussion générale précédant l’examen du texte article par article, Dominique Voynet est revenue sur les raisons pour lesquelles elle s’oppose au projet de loi présenté par Christian Estrosi, Secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer.
On peut lire aussi, pour plus d’information, cet article récent de Rue89.
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire d’Etat, Mesdames et Messieurs,
Il est aujourd’hui demandé ? la représentation nationale de s’acquitter des basses besognes, de dissoudre purement et simplement l’Assemblée de Polynésie, et d’abréger depuis Paris le mandat confié par les électeurs polynésiens ? leurs représentants, La date des nouvelles élections est déj? fixée : ce sera en janvier ! Les Polynésiens vivront la campagne électorale pendant les fêtes de fin d’année et seront priés de saisir en quelques semaines les nouvelles règles électorales ! !
La loi prévoit pourtant que le Conseil des ministres peut prononcer la dissolution de l’Assemblée de Polynésie. Encore faut-il que le Gouvernement de la Polynésie, ou l’Assemblée elle-même, lui demandent de le faire. De fait, ils n’ont rien demandé du tout.
La volonté de renforcer le rôle du Parlement a été claironnée ? maintes reprises, avant et après l’élection de l’actuel Président de la République, le tout en usant et abusant de grandes formules et de généreuses promesses de modernisation de notre régime politique. Mais il faut en prendre acte : le Parlement n’est pas davantage respecté que les élus de Polynésie ne le sont. Il nous est en effet demandé, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, de traiter de l’avenir de la Polynésie en moins de temps que nous n’en avons consacré ? un énième texte sur les chiens dangereux ou ? la réglementation sur les manèges forains. J’avais cru comprendre, ? la lecture des journaux, que la vie politique du pays intéressait pourtant désormais au plus haut point quelques-uns des élus de la majorité, qui ont semble-t-il, trouvé dans le Pacifique une réponse ? leur problème de trésorerie. J’ai tort de faire de l’humour, Monsieur le Secrétaire d’Etat, car le texte qui nous occupe aujourd’hui est tout sauf anodin. Au regard de la situation politique en Polynésie. Au regard de l’Histoire de la République. Jamais, Monsieur le Secrétaire d’Etat, jamais il n’avait été envisagé d’abréger d’autorité, sans justification aucune, un mandat accordé ? une Assemblée par le suffrage universel. Les intéressés l’ont-ils demandé ? Non. L’ordre public est-il menacé ? Non plus. Un mouvement populaire réclame-t-il, par des pétitions, des grèves, des manifestations, de nouvelles élections ? Pas davantage. D’autres motifs, si graves qu’on nous les aurait cachés jusques l? , justifient-ils une décision aussi exceptionnelle ? Dites nous tout, si c’est le cas.
La dissolution de l’Assemblée de Polynésie est d’autant plus choquante qu’elle n’est pas, je l’ai dit, demandée aujourd’hui par les élus de Polynésie. Il est arrivé qu’ils la réclament, et cela fut le cas ? plusieurs reprises, au cours des trois dernières années, sans que le gouvernement daigne accéder ? leur demande. Et c’est quand la situation politique du pays se stabilise, c’est quand le dialogue est renoué – grâce ? la volonté d’apaisement des leaders polynésiens, et sans que le gouvernement, qui a, pardonnez-moi l’expression, beaucoup pataugé dans cette affaire, puisse s’en attribuer le mérite – qu’on décide ? Paris de donner satisfaction ? un « notabliau » marri d’avoir été dépossédé de son éphémère pouvoir ?
A une écrasante majorité – 44 voix sur 57 – les élus polynésiens rejettent votre réforme. « A aucun moment, les élus polynésiens n’ont été associés ? la préparation du texte » regrette Edouard Fritch, président de l’Assemblée, pointant par ailleurs les « inacceptables retours en arrière » pour l’autonomie de la Polynésie française. Le communiqué du Conseil des ministres revendique pourtant « une très large consultation des forces politiques concernées par la situation de la Polynésie française, aux plans local et national ». Pour faire court, Monsieur le Secrétaire d’Etat, ces efforts nous ont totalement échappé !
Auriez-vous oublié l’engagement que vous avez pris au nom du gouvernement en août 2007, de ne pas dissoudre l’Assemblée territoriale, parce que, je vous cite, vous vouliez « respecter le libre choix des hommes politiques de Polynésie » ? Faut-il vous rappeler que c’est aussi et d’abord, le libre choix des citoyennes et citoyens de Polynésie qu’il s’agit de respecter ? Ce libre choix, que vous vous apprêtez ? sacrifier pour des motifs incompréhensibles, sauf ? admettre que la détestation d’un homme, Oscar Temaru, et le rejet viscéral de la perspective politique qu’il incarne pourraient suffire ? justifier ce caprice ?
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Venons-en maintenant au contenu du texte. Il s’agirait donc de renforcer la « stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie ».
J’ai cherché, en vain, en quoi le mode de scrutin proposé permettrait de remplir plus facilement cet honorable objectif que le mode de scrutin existant – déj? taillé sur mesure ? la demande et au service d’un homme, qui siège parmi nous aujourd’hui, comme en décembre 2003 !
Que nous est-il proposé ? Un mode de scrutin qui va encourager l’émiettement au premier tour, puis les alliances de circonstance au second. Et l’aventure au troisième, puisqu’un lapin peut être alors sorti du chapeau ! Je veux ici – ceux qui nous connaissent l’un et l’autre savent que nous nous sommes affrontés plus d’une fois, et ne peuvent nous suspecter d’aucune connivence – citer Gaston Flosse. Que dit sur ce point l’ancien président de la Polynésie ? Que le mode de scrutin ne permettra pas de « dégager une majorité cohérente et stable ». « Nous aurons, précise-t-il, une assemblée émiettée soumise au caprice de quelques girouettes ». L’homme sait de quoi il parle… Sa remarque n’en a que plus de saveur.
Comment le mode de scrutin que vous proposez, strictement proportionnel et sans même une prime majoritaire minimale, pourrait-il conforter en quoi que ce soit – et c’est une militante du scrutin proportionnel qui vous le dit ! – la cohérence des exécutifs, la stabilité des institutions et, au final, l’efficacité de l’action politique en Polynésie ? Monsieur le Secrétaire d’Etat, vous vous moquez.
Comment nier que les épisodes d’instabilité majeure que le pays a connus sont d’abord ? rapporter ? la fin d’une époque de la vie politique polynésienne, une époque où la stabilité se payait au prix de la gestion autoritaire et autocratique d’un homme fort, aussi féodal en son fief que lié, par ses intérêts, aux puissants de la métropole ? Les Polynésiens ont très clairement voulu tourner cette page, et cela ne s’est pas fait sans difficultés. Dès lors, la première tâche d’un gouvernement soucieux de renforcer la vie démocratique, ce n’est pas de jouer avec le feu, d’accentuer les clivages, mais de soutenir cette transition, dans le respect des institutions. S’agissant de la transparence de la vie politique en Polynésie par exemple, vous prenez prétexte, Monsieur le Secrétaire d’Etat, d’un rapport de la Cour des Comptes, très sévère sur la gestion du pays. Il ne vous aura pas échappé que ce rapport porte sur la période d’avant 2004, et qu’il pointe les dérives d’un système qui n’a plus cours, un système auquel les élections de 2004 ont justement mis fin. Un système qui fut longtemps, très longtemps, soutenu, par les membres de l’actuelle majorité, contre l’évidence de sa faillite et contre l’idée qu’on peut se faire, dans une démocratie, de la morale publique.
On peut discuter ad libitum de l’avenir de la Polynésie. Pour ma part, je considère que c’est pour l’essentiel aux Polynésiens d’en décider. Et je le constate : le débat n’a jamais cessé en Polynésie même, entre partisans de l’autonomie et de l’indépendance. Les lecteurs attentifs l’auront noté. En revenant sur certaines des compétences reconnues aux institutions polynésiennes, le texte qui nous est soumis remet en cause les termes même du dialogue engagé. Comment expliquer cette volonté de « reprise en main » par l’Etat, au mépris de tous les engagements passés ? Est-on revenu ? l’époque où on pensait pouvoir juger ? Paris de ce qui est bon pour Papeete, Hao ou Rapa ?
Sous couvert de stabilité, vous offrez une prime ? l’émiettement et au désordre. Sous couvert de moraliser la vie politique polynésienne, vous choisissez la reprise en main par l’Etat. Sous couvert de réforme, vous organisez le recul de l’autonomie de la Polynésie.
Ces projets de loi sont néfastes, nous devons les rejeter. Je vous remercie.