Non ? l’état d’urgence !

Intervention de Dominique Voynet dans la discussion au Sénat.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui devait nous réunir pour décider de la mobilisation générale en vue de restaurer la citoyenneté, de retisser les liens d’une société déchirée, de redonner des moyens de croire en l’avenir ? ceux qui, faute d’emploi, faute de ressources stables, faute de confiance en eux, vivent, jour après jour, la discrimination, la relégation, la certitude de n’être rien et de ne compter pour personne, au point de préférer brûler leurs vaisseaux et de se mutiler pour forcer l’autre ? ouvrir les yeux ! (Murmures sur les travées de l’UMP.)

Or nous sommes en train de nous prêter ? une mascarade, ? la mise en scène politicienne préélectorale d’une obsession : l’ordre, le nettoyage, la propreté sociale.

Au nom de l’ordre, des mots ont été prononcés qui, s’ils n’ont fait ni chaud ni froid ? ceux auxquels ils auraient dû s’adresser, ? savoir ces bandes mafieuses qui tiennent les quartiers, qui organisent les différents trafics lucratifs de drogue, d’armes ou d’êtres humains, ont, en revanche, blessé au coeur les dizaines de milliers d’habitants de nos quartiers qui se sont sentis insultés, salis, des mots qui ont donné le signal de la jacquerie, attisant la guerre des classes qui couve dans notre pays.

Au nom de l’ordre, cet impératif catégorique des conservateurs de tous les pays depuis des lustres, ce Gouvernement a donné des événements tragiques de Clichy, je veux parler du décès de deux jeunes dans un transformateur électrique, des versions contradictoires ensuite démenties par les faits.

Au nom de l’ordre, vous justifiez l’escalade, le maintien de mesures d’exception par la persistance ? un niveau élevé d’actes de délinquance, certes inacceptables et insupportables, et que personne ici ne songe ? justifier, mais qui relèvent de la responsabilité normale d’un ministre de l’intérieur disposant de budgets considérables et d’effectifs importants.

Or nous avons pu entendre ledit ministre dresser la liste des kilogrammes de haschich saisis, du nombre de téléphones portables confisqués, etc. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Au nom de l’ordre, vous réactivez des dispositions qui résonnent curieusement dans l’imaginaire collectif.

Les protestations embarrassées du garde des sceaux tout ? l’heure, en réponse ? M. Badinter, (Murmures sur les travées de l’UMP), les ricanements qui ont émaillé l’intervention de Mme Boumediene-Thiery démontrent ? l’envi le malaise persistant. L’héritage colonial est une réalité, la mixité ethnique de la France aussi et il faudra bien regarder cela en face.

Mais de quel ordre nous parlez-vous donc ? Vous pourrez tout faire en recourant ? l’état d’urgence, hormis renouer les liens qui se distendent au sein même de la nation. Vous pourrez tout régler grâce ? l’état d’urgence en suscitant ou en attisant la peur chez nos concitoyens, sans pour autant restaurer les liens avec la jeunesse des quartiers.

Chacun connaît les causes sociales profondes de la crise. Personne ne peut nier que les solutions nécessiteront l’effort de tous sur une génération au moins. Du courage et des moyens seront nécessaires. Il faudra parler juste.

Or ce n’est pas courage et encore moins lucidité que de pratiquer la « gonflette médiatique » et de projeter sur toute la société et la jeunesse les mêmes valeurs de force et le même « hypervirilisme de rue » que ceux qui valent pour ceux qui, dans nos sociétés, sont responsables d’une grande partie de nos problèmes.

M. Josselin de Rohan. Oh l? l?  !

Mme Dominique Voynet. Il n’est pas vrai d’affirmer, comme l’a fait tout ? l’heure M. le ministre de l’intérieur, que ceux qui, ici, ne sont pas favorables ? la prolongation de l’état d’urgence seraient ceux-l? mêmes qui ne soutiennent pas la République par complaisance ou par lâcheté – ces mots ont été prononcés tout ? l’heure !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous avez pourtant été bien lâches trop souvent !

Mme Dominique Voynet. Insinuez-vous que les maires qui ont passé leurs nuits ? sillonner leur ville avec les agents municipaux, avec les conseillers municipaux, avec les responsables associatifs pour protéger les personnes, les logements, les écoles, les centres sociaux et les lieux de culte seraient hostiles ? la République, seraient de mauvais républicains !

Soyons clairs : il faut faire en sorte que ne soient pas exclus des écoles et des formations professionnelles les émeutiers d’après-demain plutôt qu’ouvrir les portes des prisons !

Il nous faut tracer le chemin du travail aux jeunes que le racisme et la ségrégation sociale découragent de toute volonté d’apprendre. Nous avons besoin, plutôt que d’appauvrir l’État en faisant des cadeaux fiscaux ? la petite minorité des classes possédantes, de lui redonner les moyens de conquérir l’autorité, le prestige et l’efficacité dont il manque aujourd’hui.

M. le président. Veuillez conclure, madame Voynet.

Mme Dominique Voynet. Il n’y pas de projet républicain sans justice.

Il n’y a pas de respect sans message adressé ? la jeunesse de nos quartiers. Ce sont des Français.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est du bla-bla !

Mme Dominique Voynet. La France n’est pas en guerre, la France est solidaire, elle est généreuse, elle est fraternelle et elle se construira avec chacun de ceux qui, aujourd’hui, l’interpellent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

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