Logement : question préalable de Dominique Voynet dans le débat parlementaire
L’examen du projet de loi Logement, entamé mardi, est loin d’être terminé. Hier, la séance s’est achevée vers 00H30, ? l’article 9. Restent donc ? examiner, lundi, 18 articles et… 317 amendements. Les compte-rendus de séance sont disponibles sur le site du Sénat.
Ci-dessous, la question préalable posée par Dominique Voynet mardi dernier, ? l’ouverture du débat. La question préalable est la procédure par laquelle une assemblée décide qu’il n’y a pas lieu d’engager la discussion du texte soumis ? son examen, du fait d’un motif d’opposition qui rendrait inutile toute délibération au fond. L’adoption de la question préalable équivaut au rejet de l’ensemble du texte en discussion.
En l’occurrence, on l’aura compris, la question préalable défendue par Dominique Voynet n’a pas été adoptée par le Sénat.
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Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trois grandes raisons nous poussent ce soir ? proposer ? notre assemblée de décider, selon les termes de notre règlement, « qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération ».
Premièrement, ce projet de loi apparaît comme singulièrement décalé, compte tenu du contexte de crise majeure dans lequel nous nous trouvons. Comme le projet de loi de finances pour 2009, il a été préparé avant l’été ; comme lui, il doit être revu ? la lumière des faits.
Deuxièmement, ce projet de loi, présenté comme l’expression d’une grande mobilisation pour le logement, s’en tient ? une liste d’intentions, sans consacrer jamais de véritable engagement.
Troisièmement, nous constatons une inadaptation totale des dispositifs que vous nous proposez, madame la ministre, aux causes réelles de la crise du logement et de la crise immobilière dans laquelle nous entrons actuellement.
Madame la ministre, vous avez justifié tout ? l’heure l’inflation législative par le nombre de logements construits entre 2002 et 2007, comme s’il n’était pas nécessaire de laisser une loi porter ses fruits avant d’en rédiger une autre, comme s’il y avait un lien direct, mécanique, arithmétique, entre le nombre d’articles d’une loi et le nombre de logements qui poussent sur le terrain, comme si les dispositifs existants ou les nouveaux dispositifs que vous nous proposez ne pouvaient s’appliquer sans que soit rédigé un nouveau texte de loi !
Je note d’ailleurs, madame la ministre, que la commission des affaires économiques a entrepris de réécrire presque totalement votre texte, en adoptant pas moins de 120 amendements. J’ai bien entendu tout ? l’heure M. Braye souligner très sévèrement les lacunes de ce projet de loi. M. Dallier et Mme Bout ne se sont guère montrés plus tendres.
Je voudrais d’abord, si vous le permettez, madame la ministre, revenir sur quelques-unes des occasions que vous avez manquées si vous vouliez vraiment faire de ce projet de loi le signe d’une véritable mobilisation pour le logement.
Vous disposiez, madame, d’une base solide ; les rapports remis au Premier ministre par le député des Yvelines, Etienne Pinte, membre de votre majorité, auraient pu avantageusement inspirer vos travaux. Il n’en a rien été, or ce travail relevait d’une véritable ambition.
J’ai évoqué tout ? l’heure la proposition consistant ? fixer, pour les nouvelles constructions, l’objectif de la loi relative ? la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, ? 30 % de logements sociaux, dont un tiers de logements très sociaux en prêt locatif aidé d’intégration ou PLAI. Je rappelle que M. Pinte n’est pas député du parti communiste, du parti socialiste ou des Verts mais qu’il fait partie de l’UMP.
Votre gouvernement n’a eu de cesse, ces derniers jours, d’en appeler ? l’union nationale. Si vous aviez repris ? votre compte les ambitions de M. Pinte, nous aurions pu, sur ce sujet tout particulièrement, l’envisager.
Hélas, vous n’en avez rien fait, comme vous n’avez rien fait pour vous appuyer sur le travail des associations, dont je veux ici – cela n’a pas été fait suffisamment ce soir – saluer l’engagement et la connaissance précise des enjeux.
Vous avez choisi de ne pas les écouter et de naviguer seule. Cela donne des résultats étonnants comme cette énième tentative de revenir, une fois encore, sur l’article 55 de la loi relative ? la solidarité et au renouvellement urbains.
Loin de satisfaire ? quelque ambition que ce soit de « grande mobilisation pour le logement », l’article 17 de votre projet de loi rouvre, encore une fois, cette grande bataille idéologique ? laquelle vous tenez tant. Mais ce qui est assez étonnant, c’est l’argumentation utilisée pour ce faire.
Vous nous proposez d’intégrer ? l’objectif de 20 % les logements en accession ? la propriété. Mais que nous dit le rapport de la commission des affaires économiques sur ce point ?
« Selon les données communiquées par le ministère du logement, 2 197 agréments PSLA auraient été délivrés en 2007 ». La commission, dans ce même rapport, précise que « 995 agréments avaient, pour leur part, été accordés en 2005 et 1 476 en 2006 … S’agissant des Pass-Foncier – poursuit la commission – … ce type de logements ne concernait que 3 000 opérations en 2008-2009. »
Donc, en tout et pour tout, un grand maximum de 4 500 logements par an seraient concernés par les dispositions de l’article 17 de votre projet de loi. Je ferai mienne la conclusion du rapporteur, qui se demande « s’il est bien opportun de relancer un débat de fond sur l’article 55 pour des ordres de grandeur aussi modestes ».
Est-ce l? , madame la ministre, le pragmatisme dont vous vous réclamiez tout ? l’heure ?
Le pragmatisme, ce serait évidemment de ne pas revenir sur les objectifs de la loi SRU, sinon pour aller plus loin.
Le pragmatisme, ce serait de ne pas détricoter tous les deux ans les dispositifs existants.
Le pragmatisme, ce serait non pas d’empiler les lois les unes sur les autres, mais de faire preuve, enfin, de constance et de cohérence dans la mobilisation et l’engagement de l’État, et de garantir aux acteurs de terrain le minimum de stabilité réglementaire sans lequel il est tout bonnement impossible de travailler correctement.
Et, s’il fallait vraiment une loi, comme vous nous l’avez dit tout ? l’heure, le pragmatisme aurait consisté ? consacrer la place des collectivités locales comme acteurs majeurs de la mobilisation pour le logement. Or celles-ci sont étrangement absentes de ce projet de loi.
Le pragmatisme, enfin, ce serait de voir, et de reconnaître, que la crise qui affecte l’économie mondiale a rendu obsolète votre projet de loi.
Nous vivons aujourd’hui une crise financière dramatique dont les effets sur l’économie française commencent ? peine ? se faire sentir, une crise dont nous pressentons qu’elle aura des conséquences importantes sur nos concitoyens, sur leur emploi, sur leurs conditions de vie, sur leur pouvoir d’achat. C’est un devoir que de les protéger au maximum des effets de cette crise.
La politique du logement peut et doit y contribuer, garante du droit vital d’un accès au logement pour tous, logement qui représente au minimum un quart du budget de nos concitoyens.
Même si, ? l’évidence, la crise du logement est bien antérieure ? la crise financière, ce contexte de récession ne peut que l’aggraver. Je pense évidemment ? l’assèchement des liquidités des banques et aux restrictions des prêts ? l’accession. Tout cela ne risque pas d’encourager l’investissement des ménages dans des logements qui coûtent déj? 140 % plus cher qu’il y a seulement cinq ans !
Comme vous le reconnaissez vous-même, les banquiers ne prêtent plus aux ménages désireux d’accéder ? la propriété. Alors, au vu d’un horizon qui s’annonce plus difficile encore, pourquoi persister ? vouloir faire adopter un texte qui a été préparé en dehors de toute considération pour ces facteurs économiques récents ?
La crise que nous connaissons aujourd’hui est en outre bien plus profonde qu’un simple krach financier. Elle appelle des réponses de long terme autrement plus fortes qu’un simple rafistolage du système actuel. Ces réponses de long terme doivent commencer aujourd’hui, dans la capacité des gouvernements ? engager des réorientations budgétaires réelles, pariant enfin sur le long terme, centrées sur la satisfaction prioritaire des besoins sociaux élémentaires.
J’ai évoqué tout ? l’heure la politique des transports ; la politique du logement doit, elle aussi, bénéficier de moyens budgétaires exceptionnels quand notre pays sait mobiliser, en quarante-huit heures, 40 milliards d’euros pour recapitaliser le secteur bancaire.
Chaque fois que vous avez annoncé une nouvelle mesure censée participer ? la lutte contre la crise du logement, ou contre les effets de la crise financière, ce n’était que pour ponctionner soit nos partenaires sociaux – les contributeurs du 1 % -, soit l’épargne populaire et solidaire – le livret A, dont la vocation est le financement du logement social -, soit les organismes d’HLM, dont une partie significative sera concernée par un prélèvement total de 50 millions ? l00 millions d’euros. Ce ne sont pas, comme l’a exprimé l’Union sociale pour l’habitat, forcément des sommes « dormantes ».
Une seule remarque suffit pour évaluer ce projet de loi de « mobilisation pour le logement » : l’État est totalement absent de la mise en œuvre du texte ! Pas un seul euro ne sera mis sur la table.
Vous ne cessez de déclarer, comme vous l’avez fait très récemment lors des rencontres nationales de l’ANAH, que le budget de la mission « Ville et Logement » pour 2009 n’est pas en diminution : c’est faux ! La vérité est que l’État va se désengager des missions qui lui incombent en ponctionnant largement nos partenaires. Les 800 millions d’euros du 1 % que vous vous apprêtez ? affecter autoritairement ? l’ANAH et ? l’ANRU représentent 250 millions d’euros de plus que ce que l’État entend investir en 2009 dans les aides ? la pierre.
À qui espérez-vous faire croire que ce tour de passe-passe suffira ? Réduire, d’un côté, l’investissement de l’État et le « compenser », d’un autre côté, par un hold-up organisé des partenaires de cette politique prioritaire, c’est bien tenté.
Mais expliquez-nous alors comment les partenaires sociaux, les collectivités territoriales et les offices d’HLM pourront continuer d’assurer leurs missions ? Ils vont subir de plein fouet vos restrictions budgétaires tout en se voyant chargés de nouvelles missions, sans que vous ayez, ? aucun moment, pensé ? leur rembourser votre dette ?
Comment nos concitoyens sont-ils censés s’y retrouver ?
D’un côté, nous sommes touchés par une crise financière sans précédent qui ne peut qu’aggraver la crise du logement ; de l’autre, l’État se démobilise, l’État se décharge de ses responsabilités sur des partenaires qui se sont déj? vu déléguer nombre de missions d’intérêt général.
D’un côté, le Président de la République ne cesse de nous dire qu’il faut se serrer la ceinture ; de l’autre, nous avons appris très récemment, grâce ? un rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale, que les bénéfices du bouclier fiscal se sont concentrés sur les ménages les plus aisés.
De votre côté, vous ne cessez de dire qu’il faut encourager ? la construction de logements abordables, alors que vous proposez, une fois de plus, de supprimer ou d’affaiblir l’article 55 de la loi SRU. Vous proposez de réformer la DSU en supprimant des moyens aux maires qui veulent assumer leur responsabilité de bâtisseurs, et ce même en ZUS.
Qu’apprendra-t-on demain, lors de la discussion du collectif budgétaire, préparé ? la hâte ? Que le Gouvernement rachète des logements invendus aux promoteurs ? Madame la ministre, vous annoncez, l? encore, une mobilisation du Gouvernement, mais ce sont en fait la SNI et les organismes d’HLM que vous contraindrez ? recourir aux VEFA pour des programmes dont il est permis de penser qu’ils sont mal conçus et inadaptés aux besoins des personnes. La preuve en est qu’ils ne trouvent pas facilement preneurs !
Madame la ministre, vous promettiez l’année dernière qu’il n’y aurait pas de « loi Boutin » sur le logement. Votre but, disiez-vous, était non pas d’accrocher votre nom ? une réforme, mais de faire avancer les choses. Vous aviez raison. Vous n’avez pas tenu parole, et je ne vous en blâme pas : ce qui est terrible, madame la ministre, ce n’est pas que vous ayez, finalement, décidé d’en passer par un texte de loi ; ce qui est terrible, c’est que votre projet n’a ni souffle ni véritables objectifs concrets, opérationnels, transposables sur le terrain.
Le Président de la République, nous dit-on, veut tenir ses promesses. Fort bien ! Je ne suis pas contre le fait de tenir ses promesses, mais on n’est pas obligé de s’entêter lorsqu’elles n’ont pas de sens.
S’agissant du logement, Nicolas Sarkozy avait expliqué, pendant la campagne présidentielle, qu’il était favorable ? l’introduction en France des prêts immobiliers hypothécaires, aujourd’hui mieux connus sous le nom de « crédits subprime ». Il a visiblement renoncé ? cette promesse, mes chers collègues, et c’est une bonne chose !
Il n’est donc pas interdit d’espérer que soit revu l’objectif, inadapté lui aussi, de conduire une politique du logement ? partir de l’idée que tout le monde devrait être propriétaire. L’idée est peut-être séduisante sur le papier, mais dans la réalité – toutes les associations qui connaissent la question et y réfléchissent vous l’ont dit – c’est une illusion, et cela ne répond pas aux vrais enjeux de la crise du logement.
Si vous voulez de grandes ambitions, madame la ministre, je peux vous en proposer une, une de plus. Si vous voulez dès aujourd’hui changer le cours des choses, je vous propose d’engager, par exemple, le chantier de la rénovation énergétique de l’habitat.
Tout ou presque est ? faire. Vos collègues Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet connaissent bien le sujet. Je ne doute pas qu’ils sauront vous expliquer et vous épauler. Vous y trouverez matière ? déployer votre volonté de changement, que je crois grande, et votre souci de la justice et de la protection des personnes les plus modestes : celles-ci sont en effet aujourd’hui les premières victimes d’un habitat mal conçu, qui fait de nos maisons des passoires énergétiques et conduit les factures ? s’alourdir de mois en mois.
Répondre ? la crise du logement, préparer la mutation écologique de nos lieux d’habitation, de travail et de vie, voil? qui aurait peut-être pu justifier une loi de plus, une loi ambitieuse.
Mais, sur ces deux points, votre texte ne dit rien, désespérément rien. C’est peu dire qu’il a déçu celles et ceux qui, connaissant la valeur de votre travail parlementaire, attendaient beaucoup de votre action de ministre. Or votre texte se borne ? consacrer le désengagement budgétaire de l’État et la régression des objectifs publics en matière de mixité sociale.
Voil? pourquoi, mes chers collègues, je vous appelle ? ne pas poursuivre l’examen de ce projet de loi qui, en l’état, ne se justifie pas.