Liberté d’expression

Editorial pour le numéro 65 du journal « Tous Montreuil » du 8 au 21 novembre 2011

De l’huile de vidange et des œufs… C’est le sort réservé aux spectateurs du Théâtre de la Ville, confrontés aux insultes et vociférations de quelques centaines de catholiques traditionalistes et de soldats perdus de l’extrême droite, qui prétendaient empêcher les représentations d’une pièce de Romeo Castelluci, qu’ils jugeaient « blasphématoire ». Un cocktail Molotov, détruisant les locaux et le travail de l’hebdomadaire, un piratage informatique et des menaces de mort… C’est celui que des inconnus ont infligé à Charlie Hebdo et à ses journalistes, dénonçant à leur façon – radicale et « blasphématoire » – la victoire d’Ennahda aux élections législatives tunisiennes. Le respect des convictions des croyants contre la liberté d’expression ?

Candidats aux présidentielles, éditorialistes, intellectuels… Tous ont pris clairement position. Dans notre pays, dont la laïcité est une valeur fondamentale, le « blasphème » n’existe pas ! Et chacun de rappeler les mots prêtés à Voltaire, et dont nous sommes si fiers : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire ». Tous unis pour défendre la liberté d’expression, le droit à la controverse, à la caricature ? C’est une bonne nouvelle. Mais le débat, sur le fond, n’est pas clos. Dans un monde complexe et en perpétuelle ébullition, nous avons plus que jamais besoin de lieux de débats – des journaux, des radios, des télés, des blogs, des universités populaires, des amphis et des préaux d’école – permettant, au-delà du choc des opinions, et de la proclamation des convictions, de construire la parole libre de citoyens libres. La vérité est complexe. Et elle revêt de multiples facettes. il faut défendre Charlie Hebdo, qui craint une dérive « islamiste » en Tunisie. Mais aussi écouter Marjane Satrapi – l’auteure de Persépolis, qui fustigea si bien (et avec quel humour !) les mollahs iraniens – qui nous encourage à faire confiance à la démocratie tunisienne, à ses journalistes, à ses citoyens des deux sexes…

Pendant ce temps, le G20, ce club de pays riches à la légitimité discutable, se penche sur la dette grecque et sur les moyens d’y remédier. Les coups de théâtre se succèdent. Référendum ? Pas référendum ? Démission ? Pas démission ? Quelle que soit l’issue de cette crise, on peut d’ores et déjà en tirer plusieurs leçons. Il n’est pas possible de « vivre à crédit », et toujours, vient le moment de payer ses dettes. Mais il n’est pas possible non plus d’exiger du peuple qu’il paie seul pour des fautes commises par d’autres : ses dirigeants, qui lui ont menti ; les banques, qui se sont goinfrées ; l’Europe, qui n’a pas su, au moment de la mise en place de l’euro, se doter d’une dimension sociale, espérée et constamment reportée aux calendes…grecques. Payer les dettes ? Oui, mais à condition que changent, enfin, les règles du jeu.

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