Le lynchage de Monsieur Tout-le-monde
Editorial pour le numéro 10 du journal « Tous Montreuil » du 3 au 16 avril 2009
Avec l’arrestation à Montreuil du « violeur de l’Est parisien », les familles sont soulagées, les enseignants et les éducateurs aussi.
L’homme, déjà condamné en 2006 à une peine de quinze années de prison pour des faits de même nature, s’était évadé lors de son procès en appel l’été dernier. Identifié par son ADN, son nom et sa photo avaient été diffusés aux services de police.
Impossible pourtant de tourner la page, car le 12 mars, un homme s’est fait lyncher en pleine rue devant le centre commercial du Bel-Air par des habitants du quartier. Son crime ? « Ressembler » au pédophile.
L’homme a cherché à prendre la fuite, ce qui fut perçu comme un aveu.
Rattrapé, jeté au sol, roué de coups de pied, il n’a dû la vie qu’à l’intervention rapide des forces de police. Le visage massacré, les membres fracturés, il est resté de longs jours en réanimation. En vérité, l’homme ne ressemblait pas au pédophile. Mais, mal rasé, à Monsieur Tout le Monde. C’est pour cette raison, parce que la diffusion de son portrait risquait de désigner « n’importe qui », que nous avions fait le choix, à Montreuil, plutôt que de rendre public ce portrait, de mettre l’accent sur les comportements qui protègent, et qui ont été rappelés aux enfants : ne pas s’isoler dans un stade ou un square, refuser de suivre un inconnu, même s’il a « l’air gentil », fait mine de demander un renseignement ou offre des sucreries.
Erreur dramatique, erreur tragique, qui aurait pu conduire à la mort d’un homme. Au-delà, c’est l’excuse avancée par certains « justiciers » qui pose question : « On croyait que c’était lui ! ». Et alors ? Depuis quand est-il admissible de se faire justice soi-même ? Depuis quand trouve-t-on normal de se promener dans la rue avec un flash-ball, et de s’en servir ? On n’est pas dans un navet américain, on est dans la vraie vie. Et dans la vraie vie, c’est du vrai sang qui coule, pour notre plus grande honte.