Le « Grenelle de l’Environnement » au Sénat : plus écolo, tu prends ta carte chez les Verts

Surprise au Sénat… Alors que le débat qui s’est tenu mercredi ? l’Assemblée nationale a donné l’occasion ? certains barons de l’UMP d’inviter le gouvernement ? ne pas trop en faire, celui qui a eu lieu jeudi au Sénat fut l’occasion de réjouissantes surenchères écologiques… Il faut interdire les cultures d’OGM en plein champ, et accélérer l’élimination des pesticides, et mettre le contenu des camions sur les trains et isoler les logements et… On se serait cru chez les Verts ? Pas tout ? fait : le nucléaire reste largement défendu. Et puis, l’hémicycle était clairsemé… Les sénateurs les plus hostiles ? la « révolution écologique » avaient manifestement été priés de se faire oublier… A noter que cette séance fut le « baptême du feu » pour Jacques Muller, sénateur vert du Haut Rhin, qui s’exprimait depuis le « perchoir » pour la première fois. Nous nous sommes partagés 10 minutes de temps de parole… Dur dur… Ci après le texte de mon intervention :

Monsieur le Ministre, Invité de nos Journées parlementaires ? Nantes la semaine dernière, vous avez tressé une couronne de lauriers aux écologistes, et particulièrement aux Verts, dont le travail a contribué ? sensibiliser la société ? la réalité, ? la gravité, ? la complexité de la crise écologique. « La société a changé, avez-vous dit. Les citoyens aspirent ? vivre mieux, ils se disent ? une écrasante majorité prêts ? adopter d’autres comportements. Ce qui n’était pas possible hier est désormais ? notre portée ».

Je vous crois, Monsieur le Ministre. Quand je vous écoute, je bois du petit lait ! Et je ne souhaite qu’une chose : que vous réussissiez !

Pour réussir, la première des vertus nécessaires, c’est la lucidité. La mutation vers une société conciliant gestion responsable des ressources, justice sociale et efficacité économique, sera tout, sauf simple (je sais que vous n’êtes pas de ceux qui en tirent argument pour ne rien faire du tout…). Elle sera tout, sauf consensuelle !

Tout sauf simple, parce que, la bonne volonté des acteurs économiques et des citoyens étant acquise, il sera difficile de leur demander de changer si des alternatives concrètes, accessibles, ne sont pas mises en place. Il ne suffira pas d’encourager nos concitoyens ? laisser, chaque fois que c’est possible, leur voiture au garage, si les bus sont rares et bondés, et si les projets de transports publics restent dans les cartons, faute de financements. L’amputation sévère de la marge de manœuvre budgétaire de l’Etat, ? laquelle il a été procédé cet été sans aucune contre-partie sociale ou environnementale, constitue une faute grave. Année après année, il y avait de quoi en financer, des TGV, des tramways, des bus en site propre… Et des logements sociaux bien isolés ! Et des tunnels ferroviaires pour franchir les Alpes et les Pyrénées !

Tout sauf consensuelle, parce que cette transformation en profondeur des façons de vivre, de produire, de travailler, de consommer, va heurter des intérêts puissants, remettre en cause des rentes de situation, qu’on ne pourra faire tout et son contraire, concilier l’inconciliable, donner satisfaction ? ceux qui, depuis toujours, s’arrogent le droit de consommer – sans les payer ? leur juste prix – de l’eau, de l’air, de l’espace, de l’énergie, des matières premières ; ceux qui font payer par d’autres les conséquences sanitaires, sociales et environnementales d’activités polluantes et dont le profit n’est pas, euphémisme, partagé par tous – ceux qui, en situation de monopole et sur la base de contrats léonins, facturent ? prix fort les services rendus en matière de « dépollution ».

Comment ne pas s’alarmer, alors que remontent au créneau, Monsieur le Ministre, les lobbies les plus divers… dans les ministères, dans les médias, auprès des parlementaires aussi, avec la complicité active de quelques uns d’entre eux. Ils détestent qu’on le leur rappelle, mais nous savons tous nommer ceux qui représentent, de façon parfois explicite, les intérêts de tel ou tel secteur d’activité… Selon les cibles, on mettra en avant le caractère dérisoire de politiques nationales, on fera du chantage ? l’emploi, on négociera des délais, on fera mine de craindre le désaveu des citoyens ? quelques mois d’échéances électorales sensibles, forcément sensibles.

La tâche de ces lobbies serait moins facile si le président de la République et le Gouvernement n’avaient pas constamment donné l’impression de décider au coup par coup, sous la pression des habitudes, des clientèles, des amis politiques. L’EPR se construit, comme l’incinérateur de Fos-sur-Mer. Le ministre de l’Agriculture s’abstient ? Bruxelles sur un dossier d’autorisation d’OGM, donnant ainsi toute latitude ? la Commission européenne de prendre la décision ? sa place.

Quelle cohérence ? Entre les ministères, et au sein de chacun d’entre eux, entre les politiques ? Entre l’Etat au niveau central et l’Etat au niveau local ? Entre l’Etat et ses établissements publics ? Est-il normal, Monsieur le Ministre, que les préfets réunissent les services qui instruisent les demandes d’extensions d’élevages, et qu’ils arbitrent avant que ne se tiennent les réunions des Comités départementaux d’hygiène ? Savez-vous que plusieurs des experts chargés par l’AFSSE d’un rapport sur l’impact sanitaire des téléphones mobiles avaient un lien professionnel avec les grands opérateurs ? A quoi rime le discours sur le ferroutage, quand la SNCF, incapable d’assurer le transport de wagons isolés, envisage de fermer 262 gares ? Pourquoi la Commission nationale du Débat Public n’a-t-elle toujours pas de président ?

Les mesures suggérées par le groupe de travail sur les questions de gouvernance vont dans le bon sens. Elles permettraient de mieux reconnaître la place des associations, de garantir le pluralisme de l’expertise et de protéger les lanceurs d’alerte, de décider de façon plus transparente et plus argumentée.

Mais le groupe de travail reste timide, pour ce qui concerne l’organisation de l’Etat lui-même, au niveau central et au niveau territorial, et la répartition des compétences. Il ne dit rien, ou presque, de ce cancer qu’est la corruption, ou de la nécessité de revoir les procédures et contrats de délégation de service public. Et puis, il faut que l’Etat donne l’exemple, qu’il transpose sans finasser les directives européennes, qu’il respecte lui-même les lois – la loi littoral, la loi montagne, la loi sur les études d’impact, la loi sur l’eau – et qu’il les fasse respecter, avec une police de l’environnement digne de ce nom, et une inspection des installations classées dotée d’effectifs suffisants.

Le terme de Grenelle est passé dans le langage commun, avez-vous dit. C’est vrai. Encore faut-il admettre qu’il y a un doute sur le sens de ce terme. En 68, dont j’assume sans problème l’héritage – je suis sûre que vous aussi – il s’agissait d’une vraie négociation. Aujourd’hui, il s’agit d’un dialogue, dialogue inédit, dialogue approfondi, même s’il a été mené au pas de charge, même si les participants ne disposaient pas tous de la même connaissance des dossiers. On reconnaît les nouveaux convertis ? leur enthousiasme, et aussi ? l’ardeur avec laquelle ils accordent du crédit ? des solutions magiques, sans en identifier les effets pervers – je pense par exemple aux « agro-carburants » – avec l’espoir que tout ça reste indolore et ne dérange pas trop le business.

Ce dialogue a permis de valider un diagnostic, d’identifier un certain nombre de mesures consensuelles, « gagnant-gagnant » (dont on peut raisonnablement espérer qu’elles seront mises en œuvre) et de dresser le constat de désaccords persistants. Qui arbitrera ? Le président de la République, avez-vous dit ? maintes reprises. Je ne suis pas exagérément rassurée, Monsieur le Ministre. Pas seulement parce qu’il ne se déplace qu’en avion, au lieu de prendre le train. Pas seulement parce qu’il confirme ? tous les grands élus – sur ce point, il n’y a pas de rupture avec le comportement de son prédécesseur ! – le caractère prioritaire de leurs projets de rocades et contournements routiers, ? Bordeaux, ? Strasbourg et ailleurs. Pas seulement parce qu’il propose de vendre des centrales nucléaires urbi et orbi. Mais parce que les décisions qui sortiront du Grenelle doivent engager tous les partenaires, être portées largement, si nous voulons qu’elles survivent aux arbitrages budgétaires, ? l’inertie administrative, au découragement même de ceux qui seront chargés de les mettre en œuvre.

Avant de conclure, je veux, Monsieur le Ministre, attirer votre attention sur l’espoir suscité par le Grenelle dans l’Outre-Mer. On aime célébrer la beauté des paysages, la richesse de la biodiversité, la fécondité des océans, la fertilité des sols. La réalité est tout autre : empoisonnement des sols par le chlordecone et le paraquat, prolifération des déchets, orpaillage sauvage, déforestation, embouteillages monstrueux, trafics d’espèces protégées… On vous attend aux Antilles pour engager les îles des Caraïbes vers un développement plus responsable, Harry Durimel vous l’a demandé. Je veux ici vous entendre confirmer cette promesse.

Je vous envie – vous avez ? relever un défi magnifique – et je vous plains aussi. Parce que j’ai écouté les interventions, hier ? l’Assemblée nationale, cet après-midi au Sénat. J’ai mesuré que le soutien de vos amis politiques se limitait pour l’essentiel ? ce jour ? de grandes envolées lyriques ? caractère général, assorties de recommandations de prudence… « N’empêchez pas les voitures de rouler. Attention aux aliments bios dans les cantines, c’est pas bon. Ne pénalisez pas les entreprises… » . Alors, sincèrement, Monsieur le Ministre : bon courage ! Il vous en faudra.

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