La loi d’orientation agricole et l’outremer
1. L’esprit de la loi
La loi d’orientation agricole discutée actuellement au Sénat fait l’objet d’une procédure d’urgence. Il n’y aura donc qu’une seule lecture dans chaque assemblée.
Cette loi comporte peu d’articles (35) mais si ce n’est pas une grande loi d’orientation agricole, elle amène tout de même de profonds changements :
Tout d’abord, elle consacre le principe de la grosse exploitation en modifiant profondément le statut du fermage d’une part et les mécanismes de cessions de baux d’autre part. Elle propose désormais le terme d’entreprise agricole, considère qu’il s’agit l? plutôt d’une avancée par rapport ? l’exploitation agricole familiale. Les débouchés agro-industriels sur les marchés extérieurs y sont fortement encouragés. Bref, une exploitation agricole doit avoir une masse critique, être sur un marché porteur et dans la mesure du possible devenir une entreprise comme une autre.
On note quelques propositions sans ambition sur le plan social : exonération fiscale pour l’embauche d’un salarié agricole pour l’agriculteur qui prend des vacances, statut de conjoint collaborateur, ? l’instar du dispositif créé par la loi PME en juin dernier .
Sur le plan environnemental, le contenu est décevant, et le peu d’avancée ne fait naturellement pas le poids face ? la politique française de lobbying sur la commission et au sein du Conseil ( Reach, article 25 de la 2001/18/CE sur l’accès aux études de toxicité OGM).
2. Pourquoi cette loi est-elle une mauvaise loi pour l’Outre-mer ?
Dans chaque département, la situation est particulière. On relève cependant des points communs qui montrent qu’une telle loi est inadaptée :
– qu’il s’agisse de la Guyane, des Antilles, de Mayotte,de la Réunion, on se trouve face ? des écosystèmes fragiles. – Le niveau de vie moyen est inférieur ? celui de la métropole. – Il s’agit de territoires souvent victimes de calamités climatiques. – Leur caractère insulaire ou leur isolation géographique en font des régions dépendantes au niveau agricole.
Les problématiques de ces territoires méritent donc l’élaboration de politiques agricoles « sur mesure ».
J’ai fait quelques amendements de deux sortes :
Celle qui concerne la préoccupation environnementale : amendement ? l’article 31 et ? l’article 33.
Celle qui concerne l’élaboration de politique agricole « sur mesure » avec les acteurs locaux, où il s’agit de : – Consolider ce qui se fait de bien. – Donner un coup de pouce aux projets de développement local. – Prendre en compte la spécificité de chaque territoire.
3. Repenser le développement agricole dans l’Outremer français.
Il reste difficile de sortir des logiques productivistes qui constituent encore la norme en terme d’intervention agricole dans l’Outremer français, où sont appliquées avec peu d’adaptations des politiques pensées dans un tout autre contexte.
On pourrait définir globalement cette exigence pour l’Outremer en :
– ne pensant pas sectoriel mais territorial – ne pensant pas agricole mais rural – facilitant l’expression d’une demande locale en phase avec les besoins réels et aborder ainsi pleinement la problématique du développement durable.
4. Des situations différentes.
Guyane
En Guyane, la quasi-totalité du territoire est propriété privée de l’Etat. Les guyanais pratiquent notamment l’agriculture sur Brûlis en zone forestière : Les familles défrichent par brûlis une zone dans la forêt amazonienne, l’exploitent une année, puis la rendent ? la nature sauvage et partent un peu plus loin pratiquer de nouveau le brûlis : c’est l’abattis itinérant, pratique traditionnelle en Guyane, qui permet tout ? la fois aux familles de produire les bien agricoles nécessaires, mais également de les vendre sur les marchés locaux. Une partie importante de l’activité agricole guyanaise (et surtout visible) concerne l’élevage bovin semi intensif, et l’arboriculture fruitière.
Un certain nombre de problèmes mériteraient d’apparaître dans un dispositif sur mesure pour la Guyane :
– la formation des agriculteurs – la reconnaissance du domaine de l’herboristerie et la formation dans ce domaine – l’interdiction de l’orpaillage – la transformation sur place des produits agricoles – la mise en place d’un organisme certificateur bio – enfin, un gros travail reste ? faire pour étendre natura 2000 ? l’Outremer en proposant ? l’Union l’adoption d’annexes sur les espèces végétales et animales tropicales.
A Mayotte
La LOA privilégie l’entrée sectorielle et technique au détriment des stratégies d’acteurs pluriactifs au lieu de prendre en compte l’aspect familial de l’agriculture mahoraise.
Un important travail de diagnostic a été réalisé (2000) et a mis en évidence des caractères spécifiques de l’île qu’il convient de noter pour élaborer une politique agricole mahoraise :
– l’importance du poids économique et social d’une agriculture que l’on croyait peu performante. – Le foisonnement et le dynamisme de certaines formes d’organisations collectives. – La multiplicité et la complexité des systèmes d’activité des ménages mahorais. – L’existence de logiques infra territoriales, offrant autant de leviers d’actions potentiels.
En Martinique :
Dans ce département, on trouve ? la fois de très grandes propriétés agricoles et des propriétés de taille modeste. L’essentiel de l’activité économique vient du tourisme, de la production de banane et dans une moindre mesure de canne ? sucre. 14 % de la population vit de l’agriculture, contre 4% dans l’hexagone. Depuis 20 ans, le niveau de vie a beaucoup augmenté, essentiellement du fait des aides européennes. Cependant, les aides agricoles pour la banane ne sont assurées que jusqu’en 2006 et une grande partie du territoire est pollué par le chlordécone et ce, pour de nombreuses années encore.
La Martinique, comme la Guadeloupe doivent relever deux défis :
– trouver de nouveaux débouchés agricoles leur permettant de trouver plus de produits agricoles sur place et investir de nouveaux marchés ? l’exportation. – relever le défi écologique de départements mis ? mal par la pollution chimique des sols, la gestion insatisfaisante des déchets et le coût environnemental d’une activité touristique intense.
Plusieurs exigences s’imposent ? l’élaboration d’une politique de développement durable de l’agriculture en Martinique et en Guadeloupe :
– faire adopter une réglementation sur la biodiversité adaptée aux régions tropicales (ajout d’annexes natura 2000). – développer le bio partout où la qualité des sols le permet. – Mettre en place un organisme certificateur pour le bio. – Encourager les synergies avec d’autres équipes de la Caraïbe, par exemple dans le développement d’une structure d’appui entreprenariale dédiée. (cf. travail en République Dominicaine, 1er exportateur de bananes bio). – Penser un développement territorial intégré.
Dominique Voynet