Grenelle II : « La révolution écologique n’a pas eu lieu! »

Dominique Voynet est intervenue, le 28 juin 2010, au Sénat, lors des conclusions de la Commission Mixte Paritaire sur le projet de loi Grenelle II, pour manifester son mécontentement face ? la claire insuffisance des mesures prises quant ? la préservation de l’environnement, ainsi que pour dénoncer des dispositifs contradictoires ? l’action écologique nécessaire.

Retrouvez son discours :

 » Le 25 octobre 2007, ? l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement, le Président de la République avait appelé ? « une révolution dans nos façons de penser et dans nos façons de décider ; une révolution dans nos comportements, dans nos politiques, dans nos objectifs et dans nos critères ».

Le même jour, Al Gore, prix Nobel de la paix, citait ce proverbe africain : « Si l’on veut avancer rapidement, il faut avancer seul, si l’on veut avancer loin, il faut avancer ? plusieurs. » Et il ajoutait que notre défi est d’aller loin rapidement. Aujourd’hui, nous voici donc au bout du chemin, ? la fin du processus du Grenelle de l’environnement, entamé voil? deux ans et demi. Force est de le constater, la révolution écologique n’a pas eu lieu. Non seulement nous ne sommes pas allés vite, mais surtout nous ne sommes pas allés bien loin ! Pis, dans certains domaines, ce projet de loi marque de réels reculs ; la distance est grande entre les ambitions affichées, les pratiques existantes et les décisions réellement prises.

Mesdames les secrétaires d’État, c’est notamment ? cause de ces hésitations, de ces ambiguïtés et de ces reculs que j’ai dû voter contre ce projet de loi en première lecture, alors même que j’avais salué le culot et l’ambition de l’entreprise et choisi de lui donner sa chance, en participant aux travaux du Grenelle, comme l’ont également fait Nicolas Hulot et Marie-Christine Blandin, qui pilota l’un des chantiers.

Que les choses soient claires, je reconnais bien volontiers l’existence de certaines avancées, comme il y en eut dans le Grenelle I, mais c’est pour les mêmes raisons qu’hier que je voterai aujourd’hui encore contre ce texte. Ces avancées ne sauraient suffire ? emporter l’adhésion des Verts.

En effet, notre appréciation se fonde non pas sur telle ou telle mesure isolée, tel ou tel élément que nous jugeons inacceptable, sur telle ou telle hésitation que nous estimons incompréhensible, mais sur la cohérence générale de la politique gouvernementale en matière d’environnement, d’écologie et de développement durable, cohérence qui, il faut bien l’admettre, a été furieusement écornée par l’enterrement de première classe de la fiscalité écologique. Il semble que le Président de la République, ? la veille des élections régionales, ait lui-même marqué la fin de la parenthèse écologique de ce gouvernement et de la chasse aux voix écologistes, en annonçant, le 6 mars 2010, que l’environnement, « ça commence ? bien faire » ! Dès lors, on assista ? une sorte de déferlement de propositions rétrogrades, venant de toutes parts ? droite, qu’il s’agisse des bancs du Parlement, de certains ministères ou de groupes de pression, dont le comportement a été excellemment décrit tout ? l’heure par Évelyne Didier. Cette mécanique implacable, je l’ai connue il y a plus de dix ans. Ces pressions, je les aie subies. J’ai choisi ? l’époque de les rendre publiques, pour les désarmer. Ces pratiques perdurent, vous le savez, sous des formes diverses, et je le déplore.

En ce qui concerne le contenu même du texte, la trame verte et bleue, ou TVB, qui représentait l’un des engagements majeurs du Grenelle de l’environnement pour la défense de la biodiversité, devait permettre la préservation et la restauration d’un maillage d’espaces et de milieux vitaux pour la faune et la flore sauvages, contribuant ? l’équilibre des territoires, au bénéfice de tous.

Or, la portée juridique de cet outil a été profondément affaiblie par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 16 juin. Cette dernière a, en effet, supprimé la disposition qui constituait l’un des engagements du Grenelle et prévoyait que les infrastructures linéaires de l’État devaient être compatibles avec le schéma régional de cohérence écologique, outil de mise en œuvre de la TVB dans les régions.

Cette mesure était indispensable ? la mise en place cohérente de la trame verte et bleue sur l’ensemble du territoire. Avec cette obligation de compatibilité, la construction d’une ligne ferroviaire ? grande vitesse ou d’une autoroute aurait dû respecter les continuités écologiques.

On peut choisir de rire des propos qu’a tenus tout ? l’heure M. François Fortassin, qui a donné une illustration de cette méthode bien française visant ? disqualifier, par des anecdotes pagnolesques d’une démagogie un peu décalée, le travail du ministère chargé de l’écologie. Comme si c’était par inadvertance que l’on assèche les zones humides indispensables ? la reproduction de nombreuses espèces d’oiseaux ou de poissons ! Comme si c’était par méconnaissance d’une réglementation trop tatillonne que l’on donnait l’autorisation de prélever des gravillons dans le lit des rivières ou d’y rejeter des fientes, des lisiers, des vinasses, des gravats ! L’écologie réduite aux bavardages de café, très peu pour moi !

La mise en place d’une certification « haute valeur environnementale », ou HVE, pour les exploitations agricoles est une autre mesure contestable. Cette certification répond ? des objectifs louables en matière de réduction des intrants, mais elle pose deux problèmes majeurs, comme l’a fait remarquer ? plusieurs reprises, lors de la première lecture, mon collègue Jacques Muller : d’une part, son coût reposera essentiellement sur les petites exploitations et sur les consommateurs ; d’autre part, l’instauration de cette nouvelle certification illustre l’absence de volonté concrète de faire basculer notre modèle agricole vers un modèle non productiviste, notamment ? travers la filière biologique. Tous les amendements déposés par les Verts, au Sénat comme ? l’Assemblée nationale, pour soutenir la filière « bio » ont été refusés. Je pense, en particulier, ? un amendement qui visait ? autoriser les cultures dans la bande des cinq mètres sous réserve d’une certification ? l’agriculture biologique. N’est-ce pas surréaliste alors que, ? l’Assemblée nationale, le Gouvernement ne s’est pas opposé ? l’idée que la certification HVE puisse être octroyée ? des productions transgéniques…

Où est la cohérence ? D’un côté, vous vous targuez de mettre en place le plan Écophyto 2018, prévoyant la réduction de 50 % de l’usage des pesticides en France ; de l’autre, il sera désormais écrit dans la loi que le retrait d’un produit phytosanitaire ne sera possible qu’après une évaluation des impacts socioéconomiques et environnementaux de ce retrait.

Vous avez donc accepté un obstacle supplémentaire au retrait des pesticides dangereux de nos pratiques agricoles, ce dont s’est réjouie bruyamment la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.

Sans doute y avait-il moins de faits rassemblés au-dessus du berceau du bisphénol A et le sacrifice était-il moins douloureux que pour certaines molécules utilisées en agriculture. Mais, sur ce dossier, comme sur celui des phtalates contenus dans les jouets, des éthers de glycol présents dans les peintures ou de l’insecticide Gaucho utilisé en agriculture, il faut remercier et féliciter de leur action les lanceurs d’alertes associatifs et les chercheurs indépendants. Mesdames les secrétaires d’État, comment se fait-il que ces alertes ne viennent jamais des services ad hoc de nos administrations ? Une partie de la réponse est sans doute dans la question…

J’en viens aux énergies renouvelables.

On a vu des cohortes de défenseurs presque fanatiques de l’énergie nucléaire lancer de rudes attaques contre l’éolien. Les pires amendements n’ont pu aboutir ? l’Assemblée nationale, mais certaines dispositions inacceptables demeurent, qui constituent des freins très sérieux au développement de cette filière. Celle-ci ne suffira pas, évidemment, ? répondre au défi du changement climatique. Néanmoins, elle n’est pas dépourvue d’intérêt, ne serait-ce qu’au regard du potentiel de création d’emplois non délocalisables qu’elle recèle.

Le projet de loi prévoit que les éoliennes ne pourront être installées ? moins de 500 mètres des habitations. Or, fixer une distance unique, applicable sur tout le territoire national, ne permet pas de tenir compte de la morphologie des lieux ni des conditions locales. De fait, selon les territoires concernés, une distance de 500 mètres pourra être soit excessive, soit insuffisante.

La majorité présidentielle sonne ainsi le glas du petit et du moyen éolien, celui qui aurait pu être porté par les coopératives communales, des sociétés d’économie mixte pouvant construire des éoliennes en accord avec les agriculteurs, les petits artisans et les communautés de communes. Bien que le Gouvernement ait prévu d’écarter le nucléaire des débats du Grenelle, il a pourtant décidé d’introduire cette question ? l’article 94 quater, en permettant d’accroître de façon significative des rejets radioactifs s’ils ne résultent pas d’une « modification notable » d’une installation ou de son exploitation ! À lui seul, cet article scandaleux devrait suffire ? vous convaincre qu’aucune voix écologiste ne saurait soutenir ce projet de loi ! On mesure le soulagement des gestionnaires du site de La Hague, en butte depuis des années ? la colère des gouvernements irlandais et anglais, qui savent isoler dans les eaux de l’océan Atlantique et de la mer du Nord les rejets radioactifs de notre usine de retraitement. Cette référence au nucléaire me permet de resituer, dans un contexte plus global, la question de la cohérence générale non écologique de l’action gouvernementale.

L’autosatisfaction n’est pas de mise, la méthode Coué ne suffit pas ! Au moment même où l’on nous présente la dernière mouture du projet de loi Grenelle II, le Gouvernement vient de signer la déclaration d’utilité publique de la ligne haute tension Cotentin-Maine, utilité pourtant plus que contestée ! Il nous prépare en outre un projet de loi réorganisant le marché de l’électricité qui ouvre secteur du nucléaire ? la concurrence, ainsi qu’un projet de loi de modernisation de l’agriculture qui ne modifie en rien notre modèle agricole !

Mesdames les secrétaires d’État, le ministre chargé de l’environnement connaît, quel que soit le gouvernement, de très grands moments de solitude face aux habitudes, aux hésitations, aux clientèles, aux raisonnements ? courte vue, aux lobbies et aux préjugés. Je pensais que les temps avaient un peu changé, que les esprits avaient évolué, mais la réalité est assez dure : la situation écologique se dégrade bien plus vite que les esprits n’avancent et que la législation ne progresse.

Vous comprendrez que nous ne fassions pas nôtres les conclusions de la CMP. Nous voterons donc contre elles, en attendant avec impatience le Grenelle III, que Mme Jouanno elle-même appelle de ses vœux, ? très juste titre ! « 

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