Grand Paris : Dominique Voynet fustige le projet du gouvernement !

Cette semaine, le Sénat examine le projet de loi relatif au Grand Paris.

Retrouvez l’intervention de Dominique Voynet, mardi 6 avril, en ouverture des débats :

« Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les sénateurs, le Vrai, le Beau, le Grand… et même le Juste ! Le Président de la République n’était pas ? court de superlatifs pour son discours du 29 avril 2009 sur le Grand Paris, allant jusqu’? convoquer Victor Hugo…

On allait mélanger, unir et recréer du lien social. On allait refaire de la ville, de la citoyenneté et de la solidarité. On allait inventer la ville durable, celle de l’après-Kyoto, une ville qui ne rognerait plus sur la nature. On annonçait la fin des zones urbaines sensibles et de la discrimination sociale. Et puis – promis, craché – la réflexion des architectes et des urbanistes serait le point de départ du projet.

Avec un tel programme, il était certain, ? l’approche des élections régionales de mars 2010, que les candidats UMP au conseil régional d’Île-de-France n’auraient qu’? prononcer ces quelques mots – le Grand Paris ! – pour emporter l’adhésion des Franciliens et la majorité dans les urnes.

Pourtant, cette fois encore, il semble que le geste soit fort éloigné de la parole, sinon en contradiction avec elle.

Lors de votre prise de fonction en mai 2008, monsieur le secrétaire d’État, vous vous étiez engagé ? présenter, ? la fin de l’année 2009, un projet global pour l’avenir de la région-capitale. Nous y voil?  ! Vous nous avez infligé un roboratif exposé, truffé de citations érudites, de Braudel ? Allais, dont je retiens que votre conception de l’aménagement et du développement des territoires reste marquée par l’âge d’or de la DATAR, et les concepts que celle-ci défendait dans les années quatre-vingt.

Ah ! les clusters, les grappes d’entreprises, les systèmes productifs locaux…

Mais, dans la pratique et malgré vos dénégations, ce n’est finalement qu’un projet de métro automatique que vous nous soumettez. Il doit relier les aéroports franciliens ? de futurs grands pôles économiques et permettre ? la France de tenir son rang dans le monde. Finies les grandes envolées du Président de la République sur la cohésion sociale en Île-de-France : plus vite, plus haut, plus fort, soyons prêts pour affronter les autres grandes métropoles !

Nicolas Sarkozy indiquait dans votre lettre de mission que la vision devait précéder le projet. Intéressons-nous donc un instant ? votre vision de la ville de demain.

Nous y trouverons des explications au fait qu’il ait été curieusement si peu question de ce projet de loi lors de la récente campagne électorale, si l’on met de côté le cours particulier dont bénéficia, quelques jours avant le premier tour, Valérie Pécresse ? l’Élysée.

Nous y trouverons des explications au fait que l’examen de ce texte au Sénat, pour lequel vous aviez pourtant imposé la procédure accélérée et élaboré une batterie de dérogations ? la concertation et au débat public, ait été courageusement reporté ? une date ultérieure au scrutin régional.

Alors, que disent les dix équipes d’architectes qui ont rendu ce travail considérable dont le projet de loi devait s’inspirer ? Monsieur le secrétaire d’État, elles n’ont de cesse de répéter, y compris ici devant la commission du Sénat, ce qu’elles disent partout et dans la presse : leur production n’a été ni étudiée ni prise en compte pour la rédaction de ce texte. Elles ajoutent que ce métro ne correspond pas au projet du Grand Paris tel qu’envisagé au départ et que, en l’état, il comporte un trop grand nombre d’incohérences : vous imaginez un métro en sous-sol, en contre-pied des canons de la ville du XXIe siècle, qui éviterait scrupuleusement de relier les lieux d’habitation aux lieux de travail.

En vérité, les choix urbanistiques et leurs implications sociales vous importent peu. Votre objectif est ailleurs, et c’est en lisant les pages des journaux consacrées aux résultats du CAC 40 et ? la position des universités françaises dans le classement de Shanghai que vous estimerez l’avoir atteint ou pas.

Vous devez par conséquent faire du chiffre et, pour cela, « moucheter de la puissance » sur une carte. Gilles Carrez, chargé par le Président de la République d’explorer des solutions de financement, ne s’est pas contenté de pointer le manque de moyens pour la réalisation de ce projet, qui, par ailleurs, n’est pas « phasé » dans le temps, comme l’a souligné Nicole Bricq. Il explique ainsi que les recettes que vous escomptez de la valorisation foncière autour des gares resteront insuffisantes.

Sur ce point, vous avez répondu devant la commission que vous entendiez lui donner tort. Faible argumentation, qui préfigure pourtant une concentration massive de capital sur quelques opérations lourdes, autour de gares choisies de façon discrétionnaire, qui assécheront les autres projets urbains. La spéculation foncière que vous appelez de vos vœux autour de ces gares est peu propice ? la construction des logements dont les Franciliens ont pourtant besoin.

Les belles intentions inscrites au premier article de ce texte ne survivront pas ? sa promulgation. En favorisant la constitution de nouvelles poches de richesse, vous perpétuez la ségrégation qui pénalise déj? certains de nos territoires. Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, ces territoires dont vous avez déclaré – c’était devant le conseil général de la Seine-Saint-Denis – qu’ils étaient si arides qu’il était inutile de les arroser, ces territoires qui souffrent en réalité cruellement d’une carence de services publics, ces territoires auxquels vous garantissez, par ce texte, de conserver le terrible privilège de faire plus souvent qu’? leur tour l’ouverture des journaux télévisés !

Et puis il faut s’attarder sur le faux-pas écologique qui sous-tend ce projet en termes d’étalement urbain. Non mais c’est vrai, l’environnement, ça commence ? bien faire ! Le respect des milieux naturels et la sauvegarde des terres agricoles particulièrement riches du plateau de Saclay sont peu de chose dans la compétition mondiale dans laquelle vous nous proposez de nous fourvoyer.

Pour conclure mon propos, je souhaite alerter l’ensemble des membres de cette assemblée, au-del? des seuls élus d’Île-de-France. Le dessein recentralisateur de ce texte nous concerne tous, mes chers collègues, car c’est un cas d’école susceptible de se reproduire ailleurs.

Vous bâillonnez le STIF, déj? dépouillé de son patrimoine, avec en point de mire une privatisation de la RATP que l’on peut lire sur certaines lèvres.

Vous confiez ? la Société du Grand Paris, selon une pratique assimilable ? de la vente forcée, la gestion de votre super-réseau, sans mener une évaluation sérieuse des coûts de fonctionnement d’une infrastructure desservant, au profit des seuls déplacements travail-travail qui représentent ? peine quelques pourcents du total des déplacements, des zones urbaines aussi peu denses.

Vous refusez de prendre en compte le travail considérable abattu par la région et l’État pour élaborer ensemble un schéma directeur de la région Île-de-France respectueux des principes du développement durable, conciliant efficacité économique et innovation territoriale, construction de logements et protection des zones agricoles, remise ? niveau des infrastructures existantes saturées et insuffisantes et investissement pour l’avenir, notamment dans le domaine du fret dont votre texte ne dit pas un traître mot.

Vous décidez, au mépris de l’autonomie des collectivités territoriales, de mettre un terme ? la consultation publique sur Arc Express.

Voil? des propositions que l’État et la région, je le répète, avaient élaborées ensemble !

Il s’agit bien d’une reprise en main de politiques qui échappent aujourd’hui ? l’État. Il apparaît clairement que celui-ci aura la haute main sur la Société du Grand Paris. Quand aux contrats de développement territorial, ils permettront non seulement de confisquer le pouvoir des communes en matière d’aménagement et d’urbanisme, mais aussi de contourner la région, partenaire des contrats de projet.

Bien sûr, vous nous promettez que le financement par l’État de la double boucle de votre super-métro n’amputera pas les crédits des contrats de projet. Mais, dans cette période de crise économique et de vaches maigres budgétaires, qui sur ces travées vous suivra quand vous prétendez dépenser plusieurs fois chacun des euros consacrés aux transports publics ?

Au moment de conclure, j’en reviens ? Victor Hugo, lui qui, devant les drames humains qui frappaient alors Paris, scandait que la société devait « dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté » pour détruire la misère. C’était il y a deux siècles.

Comment y parvenir aujourd’hui si l’on ne comprend pas que la véritable puissance des villes du XXIe siècle réside dans la qualité de vie de leurs habitants, dans le haut niveau de valeur ajoutée produite par tous les territoires, et non par quelques-uns seulement, dans la relation harmonieuse des parties au tout et des parties entre elles, en bref dans la diversité des activités, la mixité des fonctions et le brassage des populations ?

Maire de la commune la plus peuplée de la Seine-Saint-Denis, je dois tristement faire le constat : rien dans votre projet ne peut nous laisser penser que nous avancerions en ce sens ou convaincre les habitants de Montreuil que vous avez, d’une façon ou d’une autre, pris conscience des difficultés du quotidien auxquelles ils sont confrontés chaque jour et des prouesses que constitue le simple fait d’arriver ? l’heure ? leur travail chaque jour. Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : avez-vous un jour l’intention de leur répondre ? »

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