J-11 : Dominique Voynet ? Montreuil avec Eva Joly et José Bové

 » Mesdames, Messieurs, chers amis,

Merci d’être avec nous ce soir pour accueillir José Bové et Eva Joly. Merci ? eux d’être l?  ! José ne m’en voudra pas de ne pas insister sur sa présence… D’abord parce qu’il est venu souvent ? Montreuil, en voisin (le syndicat de son cœur est, chacun ici le sait, installé ? Bagnolet) et même en résident clandestin. Ensuite parce que nous partagerons une autre tribune vendredi soir ? Montpellier, dans la région où il mène campagne. José ne m’en voudra pas, disais-je, de saluer tout particulièrement ce soir la présence d’Eva.

Nous sommes fiers, Eva, que tu nous aies rejoints, que tu aies choisi ce mandat-l? – l’Europe, il n’y a pas de plus belle ambition – et ce mouvement-l? – l’écologie ! – pour tes premiers pas dans la vie politique.

Chacun ici sait ton expérience et ton engagement contre la corruption et la délinquance financière. Ton nom est associé, dans la mémoire de tous, ? des affaires difficiles, des affaires qui ont secoué l’opinion, et chacun de nous, des affaires qui ont ébranlé – et nous l’avons tour ? tour craint et espéré, parce que rien ne nous faisait plus horreur que l’idée de faire avec – l’idée même que nous nous faisions de notre démocratie et de la responsabilité des politiques.

Ton engagement, Eva, est une bonne nouvelle pour tous les citoyens. Parce que tu connais mieux que quiconque les formes et les ressorts de la corruption. Parce que tu sais la menace qu’elle constitue pour nos démocraties, qui – par naïveté ou par sottise – aiment penser que ça ne concerne que quelques dictatures africaines et quelques micro-états du Pacifique. Et parce que tu es résolue ? la combattre.

Ton engagement est une bonne nouvelle parce que, loin du « tous pourris » auquel populistes et démagogues nous ont habitués, tu donnes la preuve que la politique n’est pas qu’un marécage glauque de trahisons, de compromissions et de dilettantisme, qu’elle est aussi ce que des hommes et des femmes exigeants, lucides et courageux peuvent en faire.

Ton engagement, Eva, est aussi une bonne nouvelle pour tous les écologistes. Car l’écologie et la lutte contre la corruption ne sont pas deux questions séparées. Les grands groupes régulièrement cités dans les affaires de corruption sont rarement des bienfaiteurs de l’humanité. Ils sont rarement respectueux de l’environnement, de la santé, du droit du travail. Et s’ils ont recours ? la corruption, aux menaces, aux pressions, c’est aussi pour dissimuler ces vérités qui dérangent : quand on veut faire du profit, quand il s’agit, pour reprendre les mots d’un grand patron qui fit un tour en politique dans les années 80, de « cracher du cash », les maladies professionnelles, les accidents du travail, l’empoisonnement des riverains, la pollution des sols, de l’air, de l’eau, la destruction ou l’accaparement de ressources naturelles n’ont décidément aucune espèce d’importance.

Le lien, le voici : l? où l’on règne la corruption, le souci du bien commun s’effiloche et, peu ? peu, disparaît.

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Ce lien, les écologistes ont tenté, depuis plus de trente ans, de l’expliquer. Non, il n’y a pas d’un côté « l’écologie » et de l’autre côté le « social » ou « l’économie ».

Pendant des années, on nous a opposé que l’écologie était un souci de riches, et même de riches bien portants, que seuls ceux qui n’avaient pas de vraies préoccupations d’emploi, de revenu, d’insertion sociale pouvaient s’y intéresser.

Cette façon de raisonner a longtemps été ultra-majoritaire en Seine-Saint-Denis, et chacun sait ce que ça veut dire en termes de pauvreté, de précarité économique, d’exclusion, de discrimination, où on a longtemps considéré que les conditions de vie des habitants, leur environnement, leur qualité de vie, ça ne comptait pas vraiment, au regard de l’essentiel, et l’essentiel c’était l’emploi. Et, ? titre plus subsidiaire, la politique sociale.

Et bien je vais vous le dire franchement : je pense que cette manière l? de penser, cette façon de dire que l’écologie est une lubie d’enfants gâtés, de « gosses de riches », c’est surtout une excuse pour considérer que les gosses de pauvres, eux, devraient se contenter de l’environnement qu’on leur laisse, et tant pis s’il est dégradé. Tant pis si les transports collectifs ne s’arrêtent pas chez eux, ils se débrouilleront, en voiture pour ceux qui peuvent, ? pied pour tous les autres. Tant pis si leur ville, comme c’est le cas ici ? Montreuil, est balafrée par une autoroute. Tant pis si leurs logements sont mal isolés. Tant pis si ateliers, usines et entrepôts défigurent le paysage et empoisonnent l’atmosphère !

La logique qui dit que l’écologie est un truc de riches, c’est d’abord une façon de justifier le fait qu’on n’aurait pas le même niveau d’exigence pour tous.

Et ça, je n’en veux pas, nous n’en voulons pas. Si l’on veut vraiment, franchement, avancer, il faut concilier – et même réconcilier – l’exigence écologique et la justice sociale.

L’écologie n’est ni une option ni un luxe. C’est la condition de l’égalité et de la dignité des hommes et des femmes, de la liberté sans doute, de la fraternité sûrement, de la paix évidemment.

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Dans le monde qui vient, dans le monde d’après la crise, ce qui sera un luxe, un luxe pervers, déraisonnable et dangereux, ce sont les idées qui ont dominé le monde ces trente dernières années, celles d’un capitalisme sans règles, qui exalte le risque, l’initiative, la liberté d’entreprendre, quelles qu’en soient les conséquences.

Vous voulez gagner plus ? Travaillez plus ! Vous voulez réussir dans la vie ? Foncez, plus vite, et plus vite encore ! Le mur se rapproche ? Accélérez !

Cette philosophie-l? est simple ; c’est celle de Thatcher, de Bush père et fils, de Berlusconi, c’est celle de Nicolas Sarkozy aussi : retroussez les manches de votre chemise et débrouillez-vous. Comme l’aurait dit Coluche, les heureux possesseurs d’une Rolex trouveront évidemment plus de plaisir ? remonter les manches en question que ceux, de plus en plus nombreux, qui n’ont même pas de chemise !

Depuis trente ans, la même philosophie : les profits, je les garde ; les cerveaux, je les pille ; les canards boiteux je les jette ; les pertes, je vous les laisse. Les risques, j’en parle, dans les colloques, ? la tribune du MEDEF, ? Davos, mais moi j’ai un parachute, doré !

Faites-vous tout seul. La retraite ? Epargnez chacun de votre côté. Les services publics ? C’est lent, c’est cher, c’est rance, choisissez plutôt le privé. La solidarité ? Une vieillerie, que réclament ceux qui ne sont pas foutus d’y arriver tout seuls ! La culture, la recherche ?Si ça fait des entrées, si c’est breveté, oui. Sinon, ça ne compte pas.

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L’aspiration ? plus de justice et de solidarité, la recherche du bien commun, pour aujourd’hui et pour demain, c’était un truc de ringards. Et, de toute façon, même si on avait une petite faiblesse pour ces préoccupations « romantiques », c’était bien moins important que la compétition mondiale, celle des grandes puissances, et celle des grandes entreprises, positionnées sur les marchés mondiaux, ? coup de fusions, de restructurations et de plans sociaux.

La crise est passée par l? , et nous sommes plus nombreux sans doute ? admettre, et même ? revendiquer, qu’il n’y a pas ? terme de solution individuelle, que la compétition acharnée de chacun contre tous les autres conduit au désastre.

Si nous nous battons, si nous nous sommes les uns et les autres engagés en politique, c’est parce que nous sommes convaincus que le bien commun doit primer, toujours, sur les intérêts de court terme de quelques uns.

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S’il ne fallait retenir qu’une seule raison pour laquelle tant de candidats aux parcours si différents – des Verts beaucoup, et des pas Verts aussi – Eva ici, José dans le Sud-Ouest, Hélène Flautre (venue ? Montreuil il y a quelques mois) dans le Nord, Harry Durimel aux Antilles ou encore Yannick Jadot dans l’Ouest, venu de Greenpeace… – se retrouvent aujourd’hui pour porter les couleurs écologistes, ce serait celle-l?  : le bien commun.

Ce qui nous a conduits ici, c’est la conviction qu’il est menacé, plus que jamais. Certains d’entre nous sont par nature optimistes, d’autres le sont moins. Mais quel que soit le jugement qu’on porte sur les radieuses promesses de refondation du capitalisme, des promesses qui nous sont faites par ceux l? même qui sont responsables du désastre, nous sommes d’accord sur un point : il ne suffira pas d’un ravalement de façade du système !

Vous connaissez le mot d’Albert Camus, tentant de décrire la situation dans laquelle il se trouvait, en 1957, sous la menace permanente d’une guerre atomique qui ne fut parfois évitée que par miracle : « Chaque génération se croit vouée ? refaire le monde. La tâche de la mienne est peut-être plus difficile encore : elle consiste ? empêcher que le monde ne se défasse. »

Albert Camus ne pourrait pas, aujourd’hui, prononcer cette phrase. Parce que nous sommes confrontés ? de nouvelles menaces, sans que les anciennes aient disparu, nous ne devons pas seulement empêcher que le monde se défasse ; nous devons inventer le monde qui vient.

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Dans dix jours, les Français voteront, comme tous les Européens, avec des motivations dont nous devinons qu’elles sont parfois un peu éloignées de l’Europe. Certains le feront pour se défouler. D’autres pour prendre date. Dire non ? Sarkozy. Préparer l’avenir présidentiel de Bayrou. Eviter le souk au Parti socialiste. Dire qu’on n’aime pas les Juifs (c’est l? bien sûr une motivation ignoble, qui doit être combattue et dénoncée en tant que telle !). Régler son compte ? un parti proche. Garder sa part de marché.

D’autres auront le souci de l’Europe. Et de l’Europe dans le monde. Les députés qui seront élus le 7 juin sont celles et ceux qui devront, dès les premières semaines de leur mandat, préparer le sommet mondial sur le changement climatique, qui aura lieu en décembre ? Copenhague. Ce sont eux qui devront agir pour que le monde cesse de regarder le problème du changement climatique comme si on avait bien le temps, comme si c’était aux autres de s’engager d’abord, comme si, dans bien des endroits du globe, la catastrophe n’était pas déj? en marche : fracture de la plaque antarctique, progression des déserts, en Chine ou en Afrique de l’Ouest…

Les députés élus le 7 juin devront engager la réforme de la Politique agricole commune, qui mobilise aujourd’hui plus de 40 % du budget européen. Et ils devront tout mettre en oeuvre pour que l’Europe soit plus efficace qu’elle ne l’est aujourd’hui, plus efficace que ne le sont chacun des gouvernements nationaux, plus efficace pour répondre aux crises économique, sociale, environnementale, énergétique… Toutes ces crises qui, faute de régulation publique ? la bonne dimension, se nourrissent et s’aggravent les unes et les autres.

Les députés élus le 7 juin auront beaucoup ? faire, et beaucoup de ce qu’ils feront conditionnera très directement notre avenir ? tous.

Le mode de scrutin a changé, il est devenu inutilement compliqué. Ce qui est sûr, c’est que de votre vote dépend le poids du groupe des Verts au Parlement européen. Et que c’est un vote, j’espère ne pas faire preuve d’une cruauté excessive en le soulignant – réellement, pleinement utile.

Parce que le mandat européen n’est pas pour nous un lot de consolation pour les battus du suffrage universel ou pour ceux dont le grand destin national se fait un peu attendre.

Regardez le respect dont jouissnt ? Bxl Gérard Onesta ou Alain Lipietz. Regardez le sort fait dans d’autres partis aux plus crédibles et aux plus engagés des euro-députés, sacrifiés sur l’autel des combinazione internes.

Regardez les actes, les votes, le travail parlementaire des uns et des autres. Sur la Politique agricole commune, sur la réglementation des produits chimiques, sur les droits des minorités, sur la solidarité avec le Sud, les députés verts ont fait la différence ; ils ont mené des batailles difficiles, ils ont dit ce qu’il fallait, en refusant d’approuver le compromis si vide et si lamentable sur le climat et l’énergie dont s’est tellement vantée la présidence française ! Ou en refusant de se taire sur les violations des droits humains en Chine.

Si vous hésitez encore, regardez les votes des six dernières années.

Ce n’est pas chez les Verts que l’on voit des élus qui n’ont que le mot « régulation » ? la bouche mais qui votent pour l’allègement des contraintes des industries chimiques, au mépris de la protection de l’environnement comme de la santé des salariés. Pourquoi ? Parce que, par exemple, l’industrie chimique est forte dans leur pays.

Ce n’est pas chez les Verts que l’on trouve ceux qui ont des vibratos dans la voix quand ils PARLENT de l’avenir de la planète, mais qui votent pour le nucléaire, la bagnole, la chimie ou le pétrole après avoir déjeuné avec les lobbyistes d’EDF, de Renault, de Sanofi Aventis ou de Total.

La vérité, vous la connaissez désormais. Deux ans après le grand discours du Président de la République, le Grenelle de l’Environnement a fait pschiiiit ! On n’est pas idiots, on sait bien qu’il faudra plus qu’une loi pour résoudre les problèmes ! Mais que dire quand on ne se donne même pas la peine d’aller jusqu’au vote d’une loi !

Il y a bien eu une première lecture, au Sénat et ? l’Assemblée nationale. Ca permet de communiquer, un peu, beaucoup, passionnément… On croit que ça y est, que c’est voté. Mais non ! Pas de loi promulguée. Donc pas de décrets d’application. Donc pas de moyens sur le terrain, pour financer des transports publics ou isoler les logements sociaux. Nada. Nichts. Nothing. Niente. Rien.

C’est qu’il y a d’autres urgences. L’agenda parlementaire est surchargé de nobles et grands sujets sur lesquels il était absolument impératif de légiférer : le travail du dimanche, les chiens dangereux, les manèges forains, la chasse aussi bien sûr, on ne s’en lasse pas !

Et maintenant, on parle de discuter une loi pour savoir s’il faut faire travailler les gens quand ils sont en congé maladie ou en congé maternité. Et d’installer des portiques de sécurité dans les écoles. Mais est-ce que je suis la seule ? penser que ce gouvernement, cette majorité, ce Président l? n’a décidément aucun sens des priorités ?

Et même, qu’il n’a aucun sens de ce qui est vraiment important ?

Le printemps a un goût amer. Etudiants exaspérés, chercheurs écoeurés, médecins et infirmiers épuisés, ouvriers licenciés désespérés… Un gouvernement qui a le sens des réalités devrait leur répondre. Au lieu de jouer le pourrissement, d’espérer que la colère s’essouffle, que le découragement gagne. Au lieu d’attendre que ça passe, et tant pis si ça casse, et même tant mieux si ça casse, ce sera le moment d’entonner le refrain de la sécurité, de l’ordre public et de la protection de la majorité silencieuse contre les agitateurs.

Mais la vérité, c’est que c’est la majorité silencieuse qui se révolte aujourd’hui, et que les agitateurs sont au gouvernement.

C’est la majorité silencieuse qui était dans la rue le 29 janvier, le 19 mars, le 1er mai. Et elle exige des réponses.

***

Nous aurions pu débattre de ces réponses, de ce qu’il fallait faire pour répondre ? la crise, si nous avions eu une véritable campagne pour ces élections européennes. Mais j’ai cru comprendre qu’en haut lieu, on préférait se pencher sur des sujets bien plus importants. Claude Allègre va-t-il entrer au gouvernement ? Le dinosaure qui parlait – très fort – ? l’oreille du mammouth va-t-il redevenir ministre ? Et si oui, de quoi ? Un ministère de la recherche et de l’innovation, pour ce grand scientifique qui invoque la science lorsqu’elle dit comme lui, et qui la rejette lorsqu’elle le bouscule, par exemple quand elle explique que l’amiante est dangereux pour la santé ou que les activités humaines dérèglent le climat ? Décidément, « tout devient possible » .

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Il nous reste encore quelques jours pour convaincre nos amis, nos voisins, nos familles. Pour dire que, cette fois-ci, on a compris, que c’est aux écologistes qu’il faut enfin faire confiance, parce qu’ils ont donné l’alerte depuis longtemps, mais surtout parce qu’ils ont des solutions.

Ces derniers mois, les candidats d’Europe Ecologie ont rencontré des syndicalistes de l’industrie automobile, pour échanger sur la situation de leur secteur. Que croyez-vous qu’il soit arrivé ? Que les syndicalistes de l’automobile ont reproché aux écologistes d’être contre la voiture, de menacer leurs emplois, parce qu’ils veulent réduire les émissions de carbone et les nuisances de la route ?

Non. A Yannick Jadot dans l’Ouest, ? Hélène Flautre dans le Nord, ? d’autres aussi, ils ont dit : vous aviez raison. La crise était prévisible. Nos directions nous ont emmenés dans le mur. Il faut qu’on fasse autrement.

Ils n’ont pas dit seulement qu’il fallait faire des voitures moins polluantes pour mieux les vendre. Ils ont dit qu’ils sont eux-mêmes des parents et des citoyens, pas seulement des salariés de l’automobile, et qu’ils veulent, eux aussi, que le monde que nous allons laisser ne soit pas celui de nos cauchemars.

C’est la même chose avec les agriculteurs. Ils voient bien, avec la baisse du prix du lait, que la course au toujours plus de volumes pour toujours moins de qualité, ça ne peut plus fonctionner. Ils comprennent peu ? peu que c’est la même logique qui détruit des emplois de paysans et pollue les rivières ou contamine les aliments. Et ils sont de plus en plus nombreux ? ne plus vouloir ça.

Alors c’est possible de changer. Ca ne suffit pas de se dire que la planète est en danger et qu’il faut faire quelque chose. Ca ne sert ? rien d’être pessimiste et de se dire ? quoi bon. Ca n’est plus possible de se dire que la priorité c’est de « sanctionner » Sarkozy, si c’est pour voter une fois encore pour des gens décidés ? ne rien changer au fond.

Le 7 juin, on a le choix. Soit s’accorder encore un instant de répit. Soit relever le défi. Au fond, vous savez bien que c’est l’heure ! Qu’il est même plus que temps !

Le 7 juin, on vote Europe Ecologie. Merci. »

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