Des droits de papier aux droits « pour de vrai » pour les femmes victimes de violence
Il est 22 heures, et la séance de nuit vient de commencer. Odette Terrade, la première des douze orateurs inscrits, égrène les chiffres effrayants qui témoignent de l’atroce banalité des violences infligées aux femmes dans notre démocratie avancée…
Ceux qui ont suivi le cheminement du dossier le savent, il n’y a ce soir aucun suspense : la proposition de loi, présentée conjointement par la droite et par la gauche – une situation rarissime – sera adoptée. Le combat, il fut nécessaire, a été gagné avant, au moment où le texte adopté ? l’unanimité par l’Assemblée nationale, fut enfin inscrit ? l’ordre du jour du Sénat… On connaît la musique… Il y a tant d’autres sujets plus importants, la session est si chargée, n’est-il pas possible de différer l’examen de ce texte de quelques petits mois ?
Il faut le reconnaître : la mobilisation fut forte et… unitaire pour rappeler qu’un report du texte, alors que la violence faite aux femmes a été déclarée Grande cause nationale 2010 par François Fillon lui-même, ça aurait fait désordre…
Le texte sera adopté donc, dans un hémicycle un peu moins clairsemé, devant un public un peu plus nombreux que d’habitude. Je le voterai bien sûr, comme j’ai voté un autre texte, sur le même sujet, en 2006… Même ton empathique, mêmes chiffres accablants, mêmes constats d’impuissance…
On ne peut pas mettre en doute l’engagement de ceux qui, comme Michèle André, Roland Courteau, Muguette Dini ou Nicole Borvo, tentent de renforcer les droits des femmes victimes, les moyens de les protéger, les outils de la prévention…
Et en même temps, j’ai comme un doute, au moment de rejoindre les orateurs dans l’hémicycle. De quoi les femmes victimes de violence ont-elles le plus besoin ? De nouveaux droits de papier ? Ou des moyens concrets de faire respecter ceux que la loi leur a déj? et depuis longtemps reconnu. Déj? , la loi prohibe la violence, physique, psychologique ou morale. Déj? , la loi interdit le mariage forcé. Déj? , la loi reconnaît comme un crime le viol conjugal. Déj? , la loi permet d’éloigner le mari ou le compagnon violent du domicile commun.
Mais dans la réalité des faits ? Quels sont les moyens dont nous disposons pour faire face ? En vérité, je suis convaincue que je ne saurai pas davantage demain quoi répondre ? ces femmes divorcées qui doivent cohabiter, faute de logement, avec leur ancien mari violent. Je sais qu’il n’y aura pas plus de places demain dans les rares résidences sociales qui accueillent, dans l’urgence, des femmes qui ont fui avec leurs enfants dans les bras, en un sursaut vital, après une dernière salve de coups de pied dans le ventre ou une ultime phrase dévalorisante. Je sais que ça restera difficile de convaincre une femme battue sans papiers qu’elle sera enfin ? l’abri au commissariat.
Alors que faire ?
Si je suis l? ce soir, c’est d’abord pour les femmes de Montreuil, qui viennent d’accueillir le forum de la Marche Mondiale des Femmes, et qui m’ont convaincue de l’intérêt de ce nouveau texte ; c’est pour Aline, morte ? Montreuil au début du mois de juin, sous les coups d’un mari qui crut pouvoir se débarrasser de son corps, en le plaçant dans le coffre d’une voiture ? laquelle il mit le feu… C’est aussi pour toutes ces jeunes filles exaltées qui trouvent des excuses au garçon qui leur en colle une pour avoir souri ? un autre et qui parfois, y voient une preuve d’amour. Et pour tous ces garçons, auxquels on n’a jamais appris qu’une femme, ce n’est pas un corps ? utiliser, ou une domestique ? dresser, mais une personne digne de respect.