Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités territoriales

Dominique Voynet est intervenue lundi 27 septembre dans le débat organisé par la commission des finances du Sénat et la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et ? la décentralisation, déplorant l’état actuel des finances locales.

Vous pouvez retrouver l’intégralité du débat ici.

Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, oserais-je prendre la parole devant un aréopage aussi érudit d’éminents spécialistes et de techniciens émérites des finances locales, alors que je n’appartiens pas ? ce sérail ? Je ne suis pas membre de la commission des finances du Sénat, mais, en tant que maire d’une commune de Seine-Saint-Denis, je pense être une élue locale assez représentative de la grande majorité de ces élus qui, sans faire preuve d’une particulière malveillance, ont ressenti, et ressentent encore, une grande perplexité au vu des conséquences de la réforme des finances locales conçue hâtivement, et dont les impacts ont été mal évalués. Comme tous ces élus, je suis confrontée quotidiennement, et plus intensément encore en cette période de l’année, aux questions de nos concitoyens. Ceux-ci ne comprennent pas que la fiscalité locale pèse davantage sur les territoires déshérités que sur ceux qui sont bénits des dieux de l’économie et de la finance, et, au sein de ces territoires, sur cette catégorie de contribuables desquels on attend un financement solidaire des services publics dédiés aux plus fragiles et auxquels on demande de se substituer ? une solidarité nationale défaillante, alors même que les services publics locaux ne sont pas exempts de critiques justifiées, faute de moyens. Nous sommes donc invités, sur l’initiative du Gouvernement, ? nous exprimer sur la péréquation. En vérité, on ne compte plus les débats, les rapports, les conférences sur ce sujet, qui devient, faute de décisions, une sorte de « marronnier parlementaire », un simple objet de colloque. Ce débat supplémentaire sera forcément un peu vain, car il a fallu renoncer, faute de volonté politique, ? l’adoption, avant le 31 juillet 2010, d’un projet de loi censé permettre la mise en place de mécanismes de péréquation pourtant prévu par la clause de revoyure introduite dans la loi de finances de 2010. À n’en pas douter, c’est une nouvelle déception pour les collectivités territoriales, après l’adoption d’une réforme qui n’a répondu ni ? leurs attentes ni aux objectifs annoncés initialement par le Gouvernement. La situation des collectivités est grave, et parfois désespérée. Transferts de compétences non accompagnés des moyens budgétaires correspondants, réforme de la fiscalité locale qui plonge les élus, leurs administrations, les acteurs locaux et les habitants dans le brouillard le plus épais : tel est le tableau auquel les collectivités, notamment les plus fragiles, devraient se résigner et dont la conséquence est d’importantes et douloureuses coupes dans les budgets des politiques publiques locales. Certains orateurs ont décrit la situation inextricable dans laquelle se débattent les départements, qui sont contraints de procéder ? des coupes sévères dans certains budgets sensibles pour nos populations, comme la culture ou le sport. Savez-vous, madame la ministre, que nous subissons la double peine ? En effet, les départements n’ont pas d’autre choix que de répercuter sur les communes les conséquences de cette sévérité budgétaire. Vous avez dressé un tableau idyllique de la mise en œuvre de cette réforme, mais vous avez néanmoins admis qu’elle était complexe. Vous ne pensiez pas, évidemment, qu’elle vous coûterait si cher… Vous auriez dû ajouter que tous ses impacts n’avaient pas été sérieusement anticipés. Que répondez-vous, par exemple, aux communes de Seine-Saint-Denis qui découvrent que le transfert de la part départementale de la taxe d’habitation, perçue hier par le département, s’accompagnera soit d’une augmentation considérable des impôts locaux, subie par les habitants, soit d’une baisse importante des ressources des communes ? Ces collectivités sont confrontées ? un choix cornélien ! Avez-vous prévu un mécanisme de compensation ? Ne dites pas que je force le trait : dans ma communauté d’agglomération, cette mesure coûtera 1,8 million d’euros sur une seule année ! Plus que jamais, nous avons besoin d’une péréquation juste et efficace. Nous savons bien qu’elle ne sera qu’un instrument parmi d’autres du rééquilibrage nécessaire, qu’elle ne pourra compenser les inégalités fiscales liées ? l’archaïsme du dispositif de fixation des bases, et qu’elle ne suffira pas non plus ? justifier l’érosion des outils de solidarité entre les territoires et l’inégale répartition des ressources, dont témoigne notamment l’examen quantitatif et qualitatif de certains contrats de projets. La mise ? contribution des collectivités pour financer des programmes ou des infrastructures, comme le TGV ou les chantiers universitaires, qui relèvent de la responsabilité de l’État, et de lui seul, contribue ? amplifier les inégalités. Qu’adviendra-t-il des collectivités incapables de « mettre au pot » pour assurer ces financements ? Chaque orateur précédent a rappelé la situation dans laquelle nous nous trouvons et qui est liée en particulier ? la limitation en 2010 de l’augmentation de la DGF ? 0,6 % et au gel en valeur des concours financiers de l’État aux collectivités ? partir du budget triennal 2011-2013. Dans ce contexte particulièrement préoccupant, la péréquation n’implique que des sommes très modestes au regard des enjeux et des défis auxquels sont confrontés les territoires : avec un volume de 6,27 milliards d’euros, elle représente ? peine 3 % des ressources des collectivités territoriales. Nous avons besoin de plus de péréquation et d’une péréquation plus efficace, comme le montre le rapport de Jacques Mézard et Rémy Pointereau. Certains territoires bénéficient de programmes spécifiques, qui sont parfois considérables. Certains de ces programmes sont menacés, dans leur volume ou leur principe, par exemple les contrats urbains de cohésion sociale, les CUCS ; d’autres sont maintenus. Mais au lieu de renforcer et de compléter l’intervention de l’État dans des domaines prioritaires ou des territoires déshérités, on substitue de plus en plus ces programmes aux financements de droit commun, qui eux aussi font défaut, comme en matière de renouvellement urbain ou de logement social. C’est également le cas pour les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, qui ont été évoqués. On aurait pu citer, par ailleurs, le financement des agences postales, la contribution des polices municipales ? des tâches qui, hier encore, relevaient de l’État, le cofinancement des réseaux de haut débit, les équipements de cabinets médicaux… La liste est longue des brèches qu’il faut colmater, jour après jour ! Si ce chantier est complexe, les solutions ? apporter ne doivent pas l’être. C’est un enjeu démocratique majeur et une condition sine qua non de l’acceptation de l’impôt par nos concitoyens que l’adoption de règles simples et justes, et de dispositifs compréhensibles par des non-spécialistes n’ayant pas accès aux contorsions rhétoriques et ? l’ébriété technique que nous déployons parfois. C’est pourquoi je fais miennes les réflexions et les propositions de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et ? la décentralisation, ainsi que celles du Conseil national des villes et de Ville et banlieue. Émises par des praticiens du quotidien, elles sont attendues par tous ceux qui ne se résignent pas au décrochage des territoires, car alors, dans ces derniers, les valeurs de la République ne seraient plus que de la littérature.

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