Budget de la Sécurité sociale : intervention de Dominique Voynet
Le Sénat a examiné ces derniers jours le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). A cette occasion, Dominique Voynet est intervenue en discussion générale pour pointer les incohérences du projet de loi et, sur ce sujet comme sur d’autres, la marginalisation des parlementaires dans la décision publique. Ce texte aura pourtant des conséquences importantes, dont il aurait été souhaitable que le Parlement puisse véritablement débattre : en instituant de nouvelles franchises médicales, il grèvera encore le pouvoir d’achat des familles et fragilisera l’accès aux soins, sans rien régler par ailleurs des déficits de la Sécurité sociale.
Vous pouvez lire ci-après l’intervention de Dominique Voynet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les citoyens se posent la question depuis plusieurs mois, les journaux depuis quelques semaines : ? quoi servent les membres du Gouvernement ? Le président est partout, se mêle de tout, réduisant ses ministres ? des rôles de faire-valoir ou d’exécutants. C’est agaçant pour vous, mais ce l’est aussi pour nous. En effet, en examinant le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis, on peut se demander : ? quoi servent donc les parlementaires ?
Il paraît évident que, cette année encore, nous perdons notre temps. Année après année, imperturbablement, les ministres se succèdent, impavides, pour nous affirmer, la main sur le coeur et plus souvent encore sur le portefeuille, que les hypothèses de travail sont sérieuses, les pistes de réforme crédibles et les efforts demandés équitables sur le plan social et efficaces sur les plans sanitaire et économique.
Las… Les réformes se suivent et se ressemblent. On met davantage ? contribution les assurés sociaux, invités ? faire preuve de « responsabilité », alors qu’ils ont le sentiment de n’avoir de prise ni sur les conditions de vie et de travail qui expliquent une part croissante des maladies et accidents qui les frappent, ni sur les prescriptions des professionnels de santé, ni sur le fonctionnement du système de santé. Et l’on réduit le remboursement de soins ou de molécules dont on se demande pourquoi ils ont si longtemps été prescrits et continuent ? l’être s’ils ne répondent qu’? des préoccupations de confort.
Cette année encore, on nous promet que tout cela va s’arranger. Comment y croire ? Il est demandé au Parlement chaque année de rectifier en fin d’exercice, parce que les hypothèses retenues au moment du vote du budget sont systématiquement trop optimistes et parce qu’aucune politique de fond n’a été conduite pour éviter le dérapage des dépenses, des prévisions de recettes et de dépenses dont le montant voté en loi de finances suscitait déj? l’effroi. Dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, on nous promettait que le régime général serait excédentaire en 2010 ; dans la loi de financement pour 2007, on nous annonçait le retour ? l’équilibre pour 2012 ; et dans le projet de loi pour 2008, on parle de 2014. Dans le même temps, la perspective de rembourser la dette s’éloigne elle aussi : la CADES risque de rester longtemps au hit-parade européen des émetteurs d’emprunt.
Ma question est simple : la méthode Coué va-t-elle suffire ?
Faut-il continuer ? adopter des mesures contestables, au coup par coup, sans en évaluer les effets pervers ? moyen ou long terme ? C’est le cas de la généralisation de la tarification ? l’activité ? l’hôpital, dont vous sous-estimez l’impact inflationniste sur le nombre des actes, comme sur leur nature. Faut-il refuser de mettre en place des mesures ? coup sûr efficaces, comme l’extension, préconisée par la Cour des comptes, des cotisations sociales aux stocks-options ? un taux suffisant, ce qui permettrait de réduire le déficit de 3 milliards d’euros ? Faut-il se résigner, sans y remédier, ? l’enlisement du chantier du dossier médical personnel, dont on plébiscite le principe sans mobiliser les moyens sollicités par le groupement d’intérêt public, sans résister aux pressions de lobbies industriels, qui ne voient dans cette belle idée qu’un marché ? se partager ?
Je ne crois pas au conte que vous nous racontez, et je ne suis pas la seule. J »ai noté que la plupart des partenaires européens de la France n’y accordent pas le moindre crédit non plus, en dépit du plaidoyer du Président de la République devant le conseil Ecofin cet été ? Bruxelles. En effet, le Gouvernement se fonde sur des hypothèses qui sont, une fois de plus, tout sauf crédibles : une prévision de croissance des dépenses limitée ? 1,5 % alors qu’elles ont progressé de 3,5 % en 2007 ; une croissance du PIB de 2,5 % ; une croissance de la masse salariale de 4,4 % ; une inflation contenue ? 1,6 %.
Je ne crois pas ? votre conte, parce que les mesures structurelles permettant d’accompagner le changement des comportements que vous appelez de vos voeux n’ont pas été prises et que celles qui relèvent des conditions de vie ne porteraient leurs fruits qu’? moyen ou long terme. Restaurer la qualité de l’air ; limiter de façon drastique l’usage des pesticides et de façon générale des perturbateurs endocriniens, des produits cytotoxiques et reprotoxiques ; réduire la consommation de sel, de sucres rapides, de graisses saturées ; améliorer les conditions de travail, qu’il s’agisse de l’ergonomie des postes de travail, de l’intensité des rythmes de travail ou du stress ; faire reculer l’habitat insalubre ou indigne… Voil? ce qui changerait la donne !
Je ne crois pas ? votre conte et je pense même que vous ne le racontez que pour endormir la méfiance des citoyens ? quelques mois des élections municipales. C’est un secret de polichinelle : des mesures lourdes seront prises au lendemain de ce rendez-vous. Elles seront, espérez-vous, d’autant plus faciles ? imposer ? une population traumatisée par l’ampleur des déficits que la situation apparaîtra irrémédiablement dégradée. Votre objectif est de tourner le dos aux systèmes publics de solidarité et de confier notre sort aux assurances privées, présumées meilleures gestionnaires.
Il faut regarder de près ce qui se passe dans les pays qui, comme les États-Unis ou les Pays-Bas, ont fait ce choix. Si la protection reste excellente pour ceux qui peuvent la financer, elle est médiocre ou inexistante pour des millions d’autres.
La croissance des dépenses de santé est-elle inéluctable ? Le vieillissement de la population l’explique en partie, mais en partie seulement. Il nous préoccupe moins que l’envolée des maladies chroniques. Les affections de longue durée, les maladies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète, l’obésité, les pathologies neuro-dégénératives représentent aujourd’hui 60 % des dépenses de santé. Or, ces affections ont en commun d’être fortement liées aux conditions de vie, au sens large. Sommes-nous condamnés ? déplorer, année après année, que les Français soient les premiers consommateurs de psychotropes d’Europe, ? constater qu’il reste presque impossible d’imaginer qu’une consultation médicale ne se traduise pas par la remise d’une ordonnance, au prix d’accidents iatrogènes plus fréquents et plus graves qu’ailleurs ? Des économistes de santé ont calculé que, si la France revenait au niveau de prescription moyen de la Finlande, qui n’est pas ? proprement parler un pays sous-développé, on pourrait économiser 10 milliards d’euros chaque année. Et cela sans mettre en péril la santé des citoyens, grâce ? un engagement massif contre le tabagisme, pour un meilleur équilibre alimentaire et pour une activité physique régulière.
On sait tout cela depuis longtemps, alors pourquoi ne change-t-on pas radicalement de perspectives ? Probablement parce que le secteur médico-pharmaceutique pèse de tout son poids, politique et économique. Je vous invite ? ne pas négliger le rôle que continuent ? jouer les laboratoires pharmaceutiques, y compris au sein de notre vénérable institution, et l’impact de la bonne vieille tradition de la « visite médicale », qui représente – on le sous-estime trop souvent – 75 % des dépenses promotionnelles des laboratoires.
Qu’attend-on pour encadrer enfin sérieusement ce secteur, comme l’ont fait bon nombre de nos partenaires européens ? Mais les laboratoires ne sont pas seuls en cause. En vérité, nous sommes confrontés ? un défi qui n’est pas seulement financier, technique ou scientifique. On a confondu pendant si longtemps le droit ? la santé avec le droit de consommer des soins médicaux, on a si longtemps cru que plus, c’était mieux, qu’aucune stratégie cohérente d’éducation ? la santé, de prévention, de prise en compte de l’impact des conditions de vie sur la santé n’a été développée dans notre pays. Soyons lucides : en termes de rémunération comme en termes de reconnaissance sociale, il reste plus valorisant dans notre pays de réparer et de prescrire que de prévenir et d’éduquer. Les exemples sont légion. Il s’agit maintenant de changer de perspective et non de prendre des décisions palliatives ? l’aval de la maladie, en punissant les assurés qui n’en peuvent mais.
Depuis peu, on prend la mesure des conséquences sanitaires de la pollution de l’air, intérieur et extérieur. Mais qui peut croire que c’est en prélevant une franchise sur les médicaments ou sur les actes de kinésithérapie respiratoire prescrits aux personnes atteints de bronchiolite qu’on rétablira l’équilibre des comptes de l’assurance maladie et qu’on améliorera l’état de santé?
Monsieur Bertrand, vous le savez bien, les franchises ne répondent pas au problème posé par la pollution de l’air.
Depuis peu, on prend la mesure de la détresse des familles qui accompagnent un proche atteint de la maladie d’Alzheimer. Mais allez donc expliquer aux familles que l’une des premières traductions concrètes du plan Alzheimer annoncé par le Président de la République, c’est l’application des franchises médicales ! Des mesures structurelles ont-elles été prises pour organiser les gardes médicales le soir et le week-end, dans les déserts médicaux que sont devenus la plupart des quartiers de nos communes de banlieue et tant de cantons de nos départements ruraux ?
C’est ? ce prix qu’on pourra recentrer les services d’accueil d’urgence sur leurs missions, éviter qu’on y attende des heures avant d’être pris en charge, remédier ? l’épuisement du personnel et ? la saturation des lieux. Et ce ne sont l? que quelques exemples…
Permettez-moi, pour conclure, de pointer l’obsession de la fraude dont témoigne le texte. Vous voyez des fraudeurs partout ! Au lieu de développer un vaste appareil de contrôle et un riche bouquet de sanctions, ne faudrait-il pas en priorité prendre les mesures qui permettraient vraiment de faire des économies ? Ne conviendrait-il pas d’alléger la charge des habitants, contraints de faire face, après celle des loyers et du foncier, ? l’augmentation des prix des produits énergétiques et des aliments de base ?
Des mesures vigoureuses pour mettre un terme ? la pratique, qui s’est généralisée dans certains départements et pour certaines spécialités, des dépassements d’honoraires, sans aucun tact ni mesure, ne seraient-elles pas indispensables ? Ces mesures n’iraient-elles pas dans le bon sens, alors que certains de ces praticiens, oublieux du serment d’Hippocrate, refusent d’accueillir les bénéficiaires de la couverture maladie universelle comme l’a dénoncé il y a peu le président du Comité consultatif national d’éthique ?