« L’écologie, évolution ou révolution »
Discours prononcé le 31 août 2011 lors des 28èmes Universités d’été d’Andorre
Pour commencer, j’ai eu envie de vous lire quelques phrases du dernier roman de Jonathan FRANZEN, un auteur américain, observateur assez précieux de la vie contemporaine. Il a eu l’honneur de faire la couverture de Time que seuls NABOKOV, JOYCE, STALINGER avaient eu avant lui et Time parle de lui comme d’un « grand écrivain américain ». la thèse de son dernier roman, Freedom, comme celle du précédent, qui s’appelait Les Corrections et qui est paru quelques jours à peine après le 11 septembre 2001, c’est que nous éprouvons d’énormes difficultés à faire usage d’une liberté presque illimitée. Loin du corset des religions, des rapports de classe ou des modèles hérités du siècle passé, nous éprouvons une sorte de vertige devant l’ensemble des possibles.
La phrase que je vais vous lire est sortie d’une description de l’état mental d’un homme qui dans le roman est une sorte de lobbyiste de la protection de l’environnement.
« Pour passer le temps Walter dressa des listes mentales de tout ce qui avait mal tourné dans le monde depuis qu’il s’était réveillé au motel. Accroissement net de la population : 60 000 ; nombre d’hectares nouvellement couverts par l’urbanisme aux États-unis : 400 ; nombre d’oiseaux tués par des chats domestiques ou redevenus sauvages : 500 000 ; barils de pétrole brûlés dans le monde : 12 millions ; tonnes de gaz carbonique envoyées dans l’atmosphère : 11 millions ; requins massacrés pour leurs ailerons et abandonnés flottant dans l’eau : 150 000. Ces chiffres, qu’il remettait constamment à jour pour passer le temps, lui apportèrent une étrange satisfaction. Il est des jours si mauvais que seule la perspective qu’ils deviennent pires encore, seule une descente dans une orgie d’horreurs, peut les sauver. »
Cet inventaire arithmétique nous laisse un peu éberlués, stupéfaits et muets. À vrai dire, ce n’est pas une façon très optimiste de lire le monde. Mais ça illustre à mes yeux, par delà les nécessités d’une argumentation plus construite, le fait que la crise écologique, est devenue une partie intégrante de la crise multiforme que nous vivons. J’ajouterais que, plus encore que la crise financière, plus encore que les subprimes ou l’endettement, elle génère à la fois de l’angoisse et du découragement parce qu’elle touche finalement à l’intime de nos vies, parce qu’elle interpelle de façon concrète le mode de vie, le mode de développement et avec eux les concepts mêmes de croissance ou de développement.
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J’aurais peut être pu commencer en insistant sur ma place singulière dans l’histoire de la mouvance écologiste en France et sur l’expérience concrète que j’ai accumulée, tant au Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement au début des années 2000, qu’aujourd’hui à la Mairie de Montreuil. Mais en vérité, c’est presque impossible de rendre compte de ces expériences concrètes et de s’inscrire dans le sujet qui concerne les crises, sans revenir sur un certain nombre de préoccupations qui sont aujourd’hui les nôtres et qui, petit à petit, se sont mises en place au cours de la génération qui vient de nous précéder.
L’histoire de l’écologie, un mot que l’on a appris à utiliser récemment, est extraordinairement récente au regard de l’histoire de l’Humanité. Le sommet de Stockholm en 1972, est le premier sommet des Nations Unies consacré à l’écologie et au développement humain avec d’emblée, un lien entre ces deux sujets. Un lien qu’on n’a pas cessé de ré interroger depuis. Le sommet de la Terre de Rio eu lieu vingt ans plus tard, en 1992. Dans quelques mois nous fêterons, à Rio à nouveau, le vingtième anniversaire du 1er sommet de la Terre de Rio, le quarantième anniversaire finalement de l’histoire humaine de l’écologie et de l’écologie politique. C’est très court et pourtant, au fil de ces dernières années, on a eu le temps, et de développer des concepts nouveaux, et de les galvauder jusqu’à les rendre inaudibles et dérisoires… C’est en tout cas ainsi que je perçois le concept de développement durable.
Il est effectivement intéressant intellectuellement de lier l’exigence d’une gestion responsable des ressources de la planète, l’exigence de la justice sociale et l’exigence d’une efficacité économique, sans laquelle la protection de l’environnement et le recul des inégalités pourraient s’avérer bien théoriques. Si l’on devait définir aujourd’hui le développement durable, je suis sûre qu’on rajouterait une quatrième dimension qui a manqué à l’époque où la définition a été acquise. C’est évidemment la dimension culturelle et démocratique parce qu’il n’est pas de développement durable sans appropriation de ces concepts par les habitants, par les citoyens, par les hommes et les femmes qui peuplent notre planète
Ce concept de développement durable, il a été galvaudé aussitôt défini. Le développement durable ? Dans nos pays développés, plus on en parle, moins on en fait. On peut donner beaucoup d’exemples de cette situation. J’ai vécu personnellement un bon nombre des moments forts par lesquels la communauté internationale a affiché une volonté de changer de modèle de développement. Je pense à la convention sur la biodiversité ou à la convention cadre sur les changements climatiques. J’étais à Kyoto en 97 où j’ai fait la connaissance d’Angela MERKEL et d’autres hommes et femmes politiques européens, grâce auxquels nous avons pu tenir tête aux États-unis qui auraient aimé vider de tout contenu le travail fait à Kyoto. Mais ce qui est sûr, c’est que si les politiques ont pris alors de précieuses décisions, si les experts et les scientifiques, après avoir sonné l’alerte, ont continué à travailler (au sein du GIEC), il est évident que le changement climatique est resté une perspective théorique, un sujet de colloque mais pas vraiment un sujet pour les citoyens.
On est passés, en quelques années à peine, du déni à la prise de conscience. Le déni, je l’ai vécu, c’était l’époque où certains écologistes étaient tentés d’en rajouter, dans la surenchère, dans la caricature, cela dans le but de convaincre. C’était l’époque des « Trente Glorieuses », où les signes d’une dégradation des écosystèmes, d’un épuisement relatif des ressources de la planète, notamment énergétiques, n’étaient pas encore massivement visibles. La prise de conscience s’est faite de façon progressive et la réalité de la crise écologique a été rapidement reconnue. Mais sa gravité, sa complexité, son caractère multiforme n’ont été perçus que petit à petit. Pendant des années, on a fait des sottises en croyant bien faire. Vous vous souvenez sans doute, comme moi, de ces programmes massifs de reforestation qui faisaient la part belle à l’eucalyptus, qui poussait vite, ou aux conifères qui acidifiaient les sols, des sols de plaine qui n’étaient pas faits pour ça. Vous vous souvenez de l’empoissonnement du lac Victoria par la perche du Nil et de l’impact dévastateur que cela a eu sur son écosystème complexe, mettant à mal la diversité des poissons qui y vivent mais aussi les activités traditionnelles de pêche, menaçant la survie de milliers de petits pêcheurs riverains. Vous vous souvenez aussi des débats interminables sur l’usage de certains produits chimiques (hormones, pesticides, engrais). C’ était l’époque où l’on pensait qu’il suffisait d’en limiter et d’en contrôler les doses, sans avoir la moindre idée de l’effet cumulé des faibles doses de certains de ces produits ou de l’effet des interactions entre produits chimiques différents. Nous sous-estimions le fait que pour certains produits, l’effet n’est pas lié à la dose. C’est le cas par exemple pour l’amiante ou pour les rayons X. Nous avons pris conscience de cette complexité petit à petit…
La prise de conscience a été lente. Et puis, il y avait l’idée largement partagée que la protection de l’environnement était une contrainte pour l’activité économique, une menace pour l’emploi et non pas une opportunité. Le modèle dominant restait la croissance et l’illusion qu’un partage un peu plus équitable des fruits de la croissance suffirait à éradiquer la pauvreté et les tensions sur la planète. En vérité, les conséquences pour l’environnement apparaissaient comme le prix à payer, un prix à payer finalement marginal du développement humain, et non pas comme une menace pour celui-ci ou pour la croissance elle-même. Et ce, dans un contexte de grande ignorance de la réalité du fonctionnement des écosystèmes. Josefina CASTELLVI I PIULACHS nous a parlé avec émotion et conviction de la prise de conscience de la fragilité des océans. Elle se souvient forcément, comme vous, de cette époque où les scientifiques ne trouvaient pas problématique de déverser des bidons de déchets radioactifs dans les fosses océaniques, comme s’ils ne devaient jamais en remonter. Vous vous souvenez aussi sans doute de ces ministres en « costume–cravate » qui assistaient droits comme des I aux essais nucléaires français dans le Pacifique. Quelques uns de ces ministres l’ont payé cher : l’un d’entre eux, Gaston PALEWSKI, est décédé d’une leucémie quelques années après son expositions aux rayons X. Encore peut-on considérer qu’il avait eu le choix. Ce n’était pas le cas des hommes, des femmes, des enfants de Polynésie qui étaient invités à rejoindre le bâtiment de l’église, sans doute le seul en « dur », sur les atolls habités des îles Gambier, proches des essais nucléaires. On leur donnait de l’alcool, pour les hommes, l’occasion d’un grand banquet pour les femmes et les enfants. Quelques heures après l’essai, on les laissait repartir dans leurs villages, sans aucune mesure de protection et sans aucun suivi sanitaire.
Vous allez me dire que nous n’en sommes plus là. Et qu’il est inutile de reparler de cette époque où les écologistes apparaissaient comme des pessimistes manquant de confiance dans l’ingéniosité et l’innovation humaines, comme des ennemis du progrès, hostiles à la science et à la technologie, une technologie qui à l’époque se proposait de maîtriser la nature, d’en « faire façon ». Mais je ne crois pas, moi, que nous en soyons réellement sortis. La prise de conscience s’est opérée de façon inégale selon les sujets et dans les différentes parties du monde. Elle s’est opérée de façon différente selon qu’on constatait des phénomènes réversibles, sur lesquels l’être humain pouvait avoir une prise, ou selon que, pleins de nostalgie ou de détestation de nous-mêmes, on décrivait des phénomènes irréversibles.
Josefina CASTELLVI a évoqué ici-même il y a deux jours, la sixième grande vague d’extinction des espèces et la disparition des dinosaures. Aujourd’hui, on nous dit qu’une septième grande vague d’extinction des espèces est en cours, dix fois, cent fois plus importante peut-être que toutes celles qui l’ont précédée. Nous sommes bien d’accord pour dire que ça n’est pas forcément une catastrophe, que certaines espèces vont disparaître mais que d’autres vont apparaître. Mais le chiffre qui est avancé par certains experts, qui ne sont pas des écologistes fanatiques, est assez effrayant. On considère que 40 à 50% des espèces pourraient disparaître au cours du siècle qui vient. Les causes en sont multiples : l’exploitation de certaines d’entre elles, la disparition ou la fragmentation de leurs habitats, les changements climatiques, les épidémies… Personne ne déplorera la disparition du virus de la variole ou le fait que la modification du génome de certains moustiques permette de rendre stériles ceux qui sont responsables de maladies terribles pour l’être humain comme le paludisme. Ce qui pose problème c’est que cette disparition irréversible se fasse de façon non réfléchie par l’espèce humaine.
En contre-partie de la prise de conscience de la réalité de la crise écologique, une rhétorique défensive bien huilée s’est mise en place. Je ne veux pas simplement évoquer ici le travail de lobbies puissants qui nient l’évidence : le lobby de l’amiante, le lobby du nucléaire, le lobby du pétrole. Vous avez peut-être vu ce film « Thank you for smoking » qui décrivait la façon dont le lobby du tabac a essayé de convaincre les Américains que fumer n’avait aucune conséquence pour la santé, voire que cela pouvait améliorer le bien-être et la qualité de vie des fumeurs. Al Gore décrit lui aussi, la mort de sa sœur d’un cancer du poumon, et la stupéfaction de son père, agriculteur, producteur de tabac, jusque là convaincu de bien faire… Ce à quoi je fais référence c’est plutôt l’idée dominante selon laquelle « On n’a pas le choix, il n’y a pas d’alternative. Si ça n’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre qui poursuivra l’activité nocive. Si on renonce, quel en sera l’impact sur l’emploi ? Et puis, si je suis le seul à faire l’effort ça ne sert à rien, compte tenu de ce qui se passe en Chine, en Inde et ailleurs. »
Comment avoir un débat adulte sur ces questions quand l’écologie reste décrite comme une contrainte fâcheuse qui, comme je l’ai dit tout à l’heure, empêche le développement et le business ? Comme si le mépris de l’environnement n’avait pas lui-même un coût extravagant… Et là, je ne parle pas seulement de la disparition de certaines espèces ou des terres arables ou des matières premières non renouvelables…Je parle aussi du coût collectif extravagant de ce système qui nous conduit à financer la dépollution après avoir financé la destruction. On peut en donner beaucoup d’exemples, j’en donnerai un seul qui concerne le sud-ouest de la France. Vous savez que les maïsiculteurs refusent avec une certaine obstination de déclarer leurs captages d’eau et de payer leur eau. Ce sont donc les usagers domestiques qui assument sur leur facture d’eau non seulement le coût des activités agricoles, mais aussi la dépollution de l’eau polluée par ces pratiques agricoles qui ne sont pas maîtrisées.
Ignacio RAMONET, a évoqué, d’une façon très politique et à mon avis très juste, cette mécanique qui conduit systématiquement à privatiser les profits et à mutualiser les pertes. C’est vrai dans le domaine financier, c’est également vrai dans le domaine de l’environnement. Quand on considère que les espaces naturels ne valent rien, que la complexité et l’équilibre des écosystèmes ne valent rien et que les industriels ou les pouvoirs publics peuvent en utiliser librement non seulement l’usufruit et les intérêts mais aussi le capital collectif, on est vraiment en difficulté. D’ailleurs, je n’ai pas insisté sur ce point mais vous l’aurez bien compris, si nous sommes si préoccupés c’est parce que nous sommes passés en un siècle d’une économie de cueillette, (on prenait ce dont on avait besoin et la nature, cahin-caha, reconstituait le stock d’air, d’eau, de terre, de biomasse, de poissons…) à une économie de prédation. Lorsque j’étais au Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, j’avais d’excellentes relations avec le monde des affaires parce que j’avais compris leur manière de s’exprimer : ils font deux colonnes, les avantages et les inconvénients, les profits et les coûts. Je pense qu’il faut que nous procédions également comme cela si nous voulons nous faire comprendre des acteurs économiques. Ils voient très bien de quoi il s’agit quand on leur explique que pendant des millénaires nous nous sommes contentés de dépenser les intérêts, alors que maintenant nous sommes en train de manger, et avec que appétit, le « capital » !
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Ma thèse, qui est partagée par la plupart des écologistes, est que partout à travers le monde ce sont les pauvres, ce sont les exclus, qui vivent dans les environnements les plus dégradés, qui subissent les premiers les conséquences de l’épuisement des ressources, les conséquences des décisions légères, de l’absence d’anticipation, de la soif de profit en matière d’environnement. La cause principale de la destruction des écosystèmes, de l’épuisement des ressources, de l’appropriation par quelques uns de la rente écologique ¾ comme Ignacio RAMONET le décrit quand il évoque la dette que nous avons à l’égard des pays du Sud pour ce qui concerne le pillage de leurs ressources végétales et le brevetage du vivant de ces pays ¾ c’est la même que celle de l’exploitation des hommes : c’est la soif de profit et de profit rapide ! Ce qui est une démarche totalement anti-économique. Je trouve assez normal que les entreprises veuillent gagner de l’argent mais leur obstination à scier la branche sur laquelle elles sont assises en sacrifiant l’avenir à un profit massif et rapide, voilà qui est préoccupant. La soif de profit des entreprises, dans une société où le bonheur des individus se réduit de plus en plus à l’accumulation de biens matériels, de biens de consommation, éphémères, conçus délibérément pour être non durables, ce modèle là n’est ni durable ni humain. Nous sentons qu’il faut inventer autre chose… Nous avons à travailler sur ce que pourrait être une sobriété choisie. L’idée est toute simple : moins d’emballages, moins d’obsolescence programmée, moins d’accumulation de biens matériels, plus d’intelligence, plus de culture, plus de partage. Je peux vous dire tout de suite, sans vous ennuyer avec mon expérience de maire, qu’à Montreuil une grande partie de la population, qui est issue d’une immigration récente, ne partage pas du tout mon avis. Quand on a été privé de tout, on n’a pas forcément envie de sobriété. On a envie d’avoir accès, enfin, à cette consommation multiforme qui faisait tellement envie sur les écrans de télévision qu’on captait par la parabole.
Le deuxième élément de ma thèse, c’est qu’il est encore temps de choisir. Il est de moins en moins temps mais il est encore temps. Ce qui est en cause, ce n’est pas la question de savoir s’il va falloir changer ou non. C’est de savoir comment ce changement s’opérera, son rythme, ses modalités et les moyens dont nous disposerons pour le rendre supportable, vivable, désirable même par les plus fragiles. C’est là le fondement de mon engagement écologiste. Avant d’être écologiste, je suis démocrate et avant d’être démocrate, je suis une femme de paix. Soit le changement s’opère de façon consciente, régulée, civilisée, démocratique, équitable, en un mot : pacifique. Soit il se fera de façon violente avec une sorte d’apartheid planétaire où certains s’arrogeront le droit et les moyens d’une utilisation presque exclusive des ressources de la planète à leur profit pendant que d’autres se contenteront des miettes. Vous avez vu ces images de « compounds » sud-américains entourés de fil barbelé avec gardiens qui permettent à des CSP+ comme on dit en français, « catégories socioprofessionnelles supérieures », de protéger leur maison, leur jardin, leur piscine pendant que les pauvres errent, survivent avec les miettes en périphérie. Faudrait-il reconnaître à une minorité de la planète le droit de remplir et d’arroser des golfs pendant que d’autres devraient acheter verre à verre l’eau de leur survie ? Ce qui est en cause, ce n’est pas seulement une idée désincarnée de la justice et de la morale, c’est notre tranquillité, c’est notre sécurité, c’est la façon détendue dont on pourra concevoir l’avenir. Chaque jour qui passe nous éloigne de cette possibilité de travailler de façon pacifique ensemble.
Je me suis un peu intéressée à ce qui se passait en Andorre et j’ai eu envie de vous dire quelques mots de sujets qui peut-être vous préoccupent. Sans détailler la politique andorrane des déchets, de l’eau, de l’énergie, ou des transports publics. Et sans donner de leçons… Notre modèle de développement, le modèle européen, dont nous savons qu’il est loin encore des excès américains, n’est évidemment pas supportable, pas « exportable » à l’échelle d’une planète peuplée de 7 milliards d’êtres humains. Imaginez ce qui se passerait, si une majeure partie de l’humanité accèdait aux « aménités positives », aux niveaux de consommation et aux conditions de confort dont nous disposons ici. Soyons au moins conscients de ce qui est en train de se passer !
Politique des déchets par exemple : on cite volontiers le chiffre d’un kilo de déchets par personne et par jour. Ce chiffre ne bouge pas, malgré les efforts déployés par les collectivités. Vous aurez d’ailleurs noté avec quel soin nous donnons de bons conseils aux populations alors même que nous sommes incapables de réduire nous-mêmes notre propre production de déchets. « Un kilo par personne et par jour » ? Le chiffre ne tient d’ailleurs pas compte de la masse inouïe des déchets agricoles. On peut réutiliser la bagasse de canne à sucre , la vinasse des distilleries ou le lisier des porcs… Le problème c’est qu’il y en a beaucoup trop. On ne prend pas non plus en compte dans ce kilo les déchets industriels, le relargage en mer de certains d’entre eux, les eaux usées, les rejets gazeux, etc. C’est un énorme souci, mais on se donne bonne conscience en disant « Bien sûr, quel que soit le sort final des déchets, la mise en décharge ou l’incinération, on développera en amont des filières qui permettront une collecte sélective, un tri, une récupération, une réutilisation, un recyclage d’une partie marginale de ces déchets ». En vérité, il va falloir changer de modèle parce qu’aucune des solutions existantes n’est dénuée de conséquences sanitaires et environnementales. Ce n’est pas faire insulte à Andorre que de pointer le fait que quand on construit une usine d’incinération elle ne fonctionne dans des conditions optimales sur le plan environnemental, qu’on ne contrôle les émissions de dioxines, de fumées, etc. que si elle est suffisamment alimentée. La stratégie qui conduit à réduire le volume des déchets conduirait paradoxalement pour faire fonctionner l’usine, à importer des déchets sur le territoire puis à réexpédier ailleurs, dans une station de traitement ultime, les résidus de cette incinération. Quand on parle des « cendres » ou des « fines », on a l’impression que cela n’est pas grand-chose. Mais c’est un tiers du volume des déchets qu’on brûle, et ça représente beaucoup de camions ! Sans compter l’impact sur nos budgets, lui aussi considérable…
Deuxième difficulté, l’eau. Là encore, vous allez dire qu’en Andorre l’eau n’est pas un souci. C’est vrai. Mais dans la plupart des pays européens, asiatiques ou en Afrique, c’est devenu un problème majeur. En France ou en Espagne, nous sommes passés, en quelques années, de 150 litres à 200 litres d’eau par personne et par jour en moyenne. Au Burkina, au Mali, on est à 15 litres, 20 litres pour tout : l’agriculture, la toilette, la cuisine. En France aujourd’hui, ce sont les usagers domestiques, les familles qui paient pour les agriculteurs ou les industriels ! et nous avons toujours un système de tarification de l’eau inversement proportionnel à la consommation. Si vous êtes un gros consommateur, vous payez votre eau moins cher que si vous faites des efforts de maîtrise. Révoltant, non ?
Le troisième sujet dont je voudrais dire un mot c’est l’énergie. Mon pays n’est pas un pays modèle en la matière. En Espagne il y a 8 réacteurs nucléaires, en France il y en a 58. Pourtant, la France qui continue à tenir un discours sur l’indépendance énergétique du pays, a une facture pétrolière à peu près comparable à celle de l’Allemagne, qui est un pays qui recourt beaucoup au pétrole, à la fois parce qu’il peine à limiter la vitesse maximale des voitures sur les routes et qu’il a une part du nucléaire qui est beaucoup moins importante que celle de la France. Je pense que l’opinion a évolué ces dernières années. Tchernobyl, 26 avril 1986, partout une prise de conscience. Et en France, un mensonge d’État. Un mensonge d’État puisqu’on nous a raconté qu’il était hautement improbable que les molécules radioactives osent franchir la frontière de notre pays. Cela fait rire, sauf qu’il a fallu un procès, que le député vert Noël MAMÈRE a gagné, pour que soit enfin reconnu le fait que la contamination radioactive s’était évidemment opérée au même rythme en France que dans les autres pays européens. Tchernobyl avec un impossible bilan, 600 000 liquidateurs, 60 000 décès sans doute, des milliers de kilomètres carrés stérilisés durablement pour toute activité humaine. Et 25 ans plus tard, Fukushima. Fukushima Daiichi, où on nous a menti aussi. Quand je dis « on » nous a menti, je ne sais toujours pas qui nous a menti. Est-ce que c’est Tepco, est-ce que c’est le gouvernement japonais, est-ce que c’est le gouvernement français ? Ce qui est sûr, c’est qu’il a fallu attendre le 18 mai pour que Tepco, puis le gouvernement japonais, reconnaissent que c’est 5 heures à peine après le début de l’accident que le cœur de la tranche numéro 1 de Fukushima Daiichi a fondu. Cela m’intéresse de savoir qui a menti. Est-ce que ça n’est pas au fond le lobby nucléaire français qui était trop content de vendre des systèmes de réparation ? Si ça n’est pas le cas, je ne comprends pas que Nicolas SARKOZY, qui est tellement présomptueux, qui aime tellement faire preuve de son importance, n’ait pas demandé des comptes au Premier ministre japonais. Pourquoi ces deux dates ? Au moment de Tchernobyl, la catastrophe semblait loin, c’était la Russie, c’était un État en pleine déliquescence et ça semblait expliquer la provenance de la catastrophe. Fukushima, ça n’est pas la même chose. Le Japon était donné en exemple du partenariat exigeant et efficace tant sur le plan scientifique que sur le plan politique, jusqu’à l’accident de Fukushima.
Fukushima, c’est aussi la réponse à ceux qui nous disent : « c’est impossible de sortir du nucléaire ». Mais ça illustre assez bien ce que je disais tout à l’heure : on choisit ou on subit. Le gouvernement japonais, il subit. Il est en train, cette semaine, d’arrêter la 42e et la 43e des 54 tranches nucléaires japonaises, soit 80% de son parc nucléaire en moins. J’entends dire que le gouvernement japonais va démarrer des centrales thermiques, qu’il va émettre davantage de carbone, qu’il est hautement probable qu’il ne respectera pas les engagements de Kyoto. C’est vrai. On a le droit pourtant d’arbitrer, de choisir, c’est là toute mon histoire politique.
Sortir du nucléaire au risque de l’effet de serre. Personne n’est prêt à prendre ce risque. Mais en fait, les choses vont se passer comme c’est le cas quand on essaie d’arrêter de fumer. On peut se dire « je fume 30 cigarettes par jour mais je vais passer à 29, puis à 28, puis à 27, puis à 26 », c’est un scénario. On peut décider, en ce qui concerne le nucléaire, d’arrêter chaque centrale une fois qu’elle arrive en fin de vie, ce qui donne le temps de préparer l’alternative. Chaque fois que nous arrêterons une centrale, nous nous serons préparés en combinant la maîtrise des consommations et la diversification des sources d’énergie, en utilisant chacune d’entre elles pour ce qu’elle sait faire de mieux. Ou bien on se dit «j’arrête tout du jour au lendemain, il est probable que je vais grignoter des sucreries, que je prendrai quelques kilos. Mais mon objectif premier, c’est d’arrêter de fumer, mon objectif second, dans un deuxième temps, et ce sera plus facile, ce sera de reperdre les quelques kilos. » Au Japon, on a arrêté la plupart des centrales au prix d’une augmentation des émissions de carbone. Dans un second temps, les émissions de carbone seront maîtrisées parce qu’on aura avancé vers la voie de l’efficacité énergétique et de la diversification, et renoncé à un certain nombre de consommations débiles. Débiles doublement ; débiles au sens de ridicule et au sens de faible comme l’indique l’étymologie latine.
Alors, que faire ? Bien des scientifiques, bien des politiques, bien des militants associatifs ont sincèrement pensé qu’il suffirait d’apporter des informations à jour, des arguments rationnels, pour convaincre et dans la foulée, engager le changement radical des modes de production et de l’organisation sociale permettant de limiter la casse. Mais je pense que c’est faux. Tout le monde connaît les dégâts du tabac, est-ce que ça suffit pour convaincre d’arrêter de fumer ? Cela marche chez certains, qui sont mûrs, qui sont prêts, mais pas sur l’écrasante majorité. Je connais les dégâts du sel et je mange trop salé depuis trente ans. Je crains pour ma part que, d’une certaine façon, la description apocalyptique des désastres écologiques ait un côté démobilisant. N’en jetez plus, c’est trop, l’impuissance et le découragement priment. On a tous effectivement vu des films, des témoignages, des émissions coup de poing, qui nous ont montré comment les forêts de Tasmanie brûlent, comment des engins forestiers énormes défrichent la forêt amazonienne, comment des molécules toxiques – de l’arsenic – utilisées en quantités permettent de trouver de l’or, comment les navires usines épuisent les ressources halieutiques au large du Sénégal ou de l’Afrique de l’ouest, générant évidemment la famine chez les pêcheurs côtiers et l’épuisement des fonds marins. Nous avons tous vu ces reportages dans lesquels on nous montre des usines atroces dans lesquelles des êtres humains exploités et perdent le goût de vivre, l’essentiel de leur travail étant d’accrocher des poulets vivants à la chaîne qui va leur trancher le cou. Vous aurez peut-être remarqué que ces quinze dernières années, une bonne partie de cette industrie aviaire s’est délocalisée. Au Brésil, par exemple, parce qu’il n’y a pas de normes écologiques concernant le rejet des effluents et des déchets de cette activité, mais aussi parce que le droit du travail y est balbutiant et que le suivi sanitaire des personnes qui travaillent dans ces usines n’est pas assuré comme il le serait ici.
Beaucoup de ces activités se sont développées sans que nous le décidions collectivement. Comment, qui a décidé, qu’un poulet, une vache ne devaient plus être élevés à la ferme, mais dans des usines ? quelles en sont les conséquences ?
Je veux à ce stade dire quelques mots des lanceurs d’alerte qui tirent la sonnette d’alarme, vous parler de cette cinéaste française, une femme extraordinaire, qui s’appelle Marie-Monique ROBIN. Elle a réalisé un documentaire sur la base d’un livre qu’elle a écrit, qui s’appelle « Notre poison quotidien », qui montre comment les produits chimiques contaminent l’ensemble de notre chaîne alimentaire et l’ensemble de nos repas, de l’air qu’on respire, de l’eau qu’on boit etc. Marie-Monique ROBIN est une lanceuse d’alerte, comme le sont d’autres personnes en Espagne, en Andorre et en Catalogne. Attaqués par les lobbies, ridiculisés par les experts officiels, marginalisés par les « grands médias » et les institutions scientifiques : nous leur devons notre protection politique et civique. Ils n’ont pas toujours raison, ils se trompent parfois mais ils ont parfois raison avant tout le monde. Je me souviens de la façon dont mon ami André CICOLELLA a été cassé par sa hiérarchie, exclu de son labo de recherche quand il a commencé à dénoncer l’impact sur la reproduction humaine et sur l’immunité des éthers de glycol. Cela avait été un grand « progrès », les éthers de glycol. C’est le solvant dans lequel on dilue l’antibiotique qui sert à désinfecter les boutons des ados ! C’est le produit qui a remplacé les solvants glycérophtaliques dans les peintures ! Autrefois les peintures sentaient mauvais et séchaient lentement, aujourd’hui elles sentent beaucoup moins fort et elles sèchent plus vite, grâce aux éthers de glycol. C’est aussi le produit qui permet d’imprimer les tickets thermo-imprimés dans les magasins, qui double les boîtes de conserve, etc. Aujourd’hui on sait qu’André avait raison et on dit « oui, il faut enlever les éthers de glycol partout ». André CICOLELLA a eu sa carrière cassée. Depuis, il a mis le doigt sur un autre problème de santé publique : le bisphénol A. Nous sortons d’une phase pendant laquelle on disait « ne pas savoir ». Et on continue à ne pas savoir sur beaucoup de sujets… Notre vigilance civique et le souci avec lequel nous écoutons non seulement les experts officiels, mais aussi les contre-experts sont essentiels.
Je pense que ça ne sert à rien d’effrayer. Mais cela ne sert pas non plus de faire ce que les politiques ont fait pendant si longtemps : tenir un discours super radical, déterminé, et très courageux sur les réorientations indispensables, sans que jamais ou presque, les décisions, les budgets, les moyens ne suivent. J’entends beaucoup parler mais je vois peu d’actions. On se donne bonne conscience. Vous vous souvenez peut-être de cette mode, il y a une quinzaine d’années, des sablés un peu « étouffe-chrétien », très denses, enrichis en protéines, proposés pour maigrir. A l’époque, j’étais encore médecin, et je recevais des dames – c’étaient surtout des femmes, il faut dire la vérité – qui mangeaient des sablés et qui s’étonnaient de ne pas perdre de poids. Je faisais un interrogatoire un peu plus poussé et je me rendais compte qu’elles prenaient les sablés en plus du régime hypercalorique qui était leur ordinaire. Pour le développement durable, ça va être comme ça. Ce n’est pas faire comme d’habitude et puis un geste symbolique pour se donner bonne conscience, à la marge. Il va falloir passer à l’action et le faire de la seule façon qui vaille : en reconnaissant la complexité du défi.
Les citoyens sont impatients, le politique est discrédité. L’état de grâce, la période où l’on peut faire ses preuves après les élections, durait autrefois environ un an. Cette période s’est réduite maintenant à quelques semaines. Comment, dans ces conditions, faire le lien entre le court terme et le long terme, entre ici et ailleurs ? Comment faire reconnaître la complexité de la décision ? Comment expliquer que la décision prise aujourd’hui ne portera ses fruits que dans le temps long ? Même si on explique, c’est difficile.
Je suis écologiste et maire d’une ville de Seine-Saint-Denis, dans l’est parisien. Dans ma ville, se côtoient des « bobos » – des bourgeois bohèmes – et des personnes qui vivent dans une extrême précarité. Certains de ceux qui ont voté pour moi, me disent « j’espère que maintenant qu’on a voté pour une maire écologiste, on va passer au bio à la cantine ! ». La vérité, c’est que lorsque j’ai été élue maire de Montreuil, j’ai fait le choix politique d’accueillir 1500 enfants supplémentaires dans les cantines (les enfants de chômeurs n’avaient pas le droit à la restauration scolaire sous l’ancienne mandature), ce qui m’a conduit à repousser de plusieurs années la généralisation de la nourriture bio dans les cantines. Quel a été mon raisonnement ? Faire venir du bio du Mexique, d’Argentine, de Chine ou de Pologne, c’est désastreux du point de vue bilan écologique global ! Et surtout, pour le prix du passage en bio, je pouvais, sans dépenses supplémentaires, accueillir à la cantine les 1 500 enfants supplémentaires dont je pressentais que c’était peut-être leur seul repas équilibré de la journée. Nous avons fait le choix social, pas le choix écologique mais je vous assure, c’est un choix éminemment écologique, à condition qu’on l’explique.
Quand on décide d’abolir la peine de mort ou de donner le droit de vote aux femmes, on prend une décision politique, elle s’applique. Quand on décide de conjurer la menace du changement climatique, c’est plus compliqué. Le CO2, ça ne sent pas mauvais et puis si on fait des efforts aujourd’hui, c’est ceux qui vivront après nous, demain ou après-demain qui en recevront les bénéfices. Comment agir aujourd’hui ? Il n’y a pas d’autre solution que d’inventer un nouveau modèle de vie démocratique, d’échange, qui ne tranche pas de façon absurde entre la démocratie représentative et la démocratie participative, qui ne se contente pas d’empiler des couches de bureaucratie et qui ne se contente pas d’ouvrir le parapluie pour mettre à l’abri les politiques invoquant la sagesse des experts. Il y a en général plusieurs chemins pour parvenir à un résultat, on ne les choisit pas au hasard, on doit évaluer les avantages et les inconvénients de chacune des pistes et prendre à témoin les citoyens des chemins qu’on leur propose. C’est un peu comme en montagne. Si on veut atteindre le refuge avant la pluie, on se dit : « Je peux peut-être prendre le chemin des chèvres, il est plus raide, il est plus difficile et je risque de laisser des gens en chemin, ou bien je peux prendre un sentier plus tranquille, je suis sûr que tout le monde sera là. Mais si l’orage menace, on va hâter le pas évidemment, quel que soit le chemin qu’on aura choisi. Si quelqu’un reste en retrait, on l’accompagne, on allège son sac pour qu’il puisse rejoindre l’équipe. » Ni l’autorité des experts, ni l’arbitraire du politique. La vitalité de la vie démocratique ! Une fois qu’on a dit ça, on n’a évidemment rien dit du tout.
Dans certains domaines, il faut des réformes rapides, radicales, des ruptures, des révolutions. Dans d’autres domaines, on peut prendre le temps de réformes plus douces. La politique, comme l’économie, est une science inexacte comme le dit Daniel INNERARITY. Les citoyens ne sont pas idiots, on décide en situation d’incertitude, il y a des conflits d’intérêt, il y a des conflits d’usage, il y a des marges de manœuvre incertaines. On a le devoir de mettre en place les outils de suivi et d’évaluation qui permettent de revenir vers les citoyens pour leur rendre des comptes. Pour moi, la protection de l’environnement et la justice sociale vont ensemble. L’écologie n’a de sens que si elle permet de vivre mieux. L’écologie est populaire ou bien elle ne mérite pas d’exister. L’écologie, c’est un projet émancipateur. J’ai cru comprendre que cette volonté de lier de façon très étroite l’expérience concrète du terrain, très pragmatique, et l’utopie, au sens où le décrit Ignacio RAMONET agaçait assez profondément tel ou tel de vos journalistes. C’est normal, ça secoue, c’est fait pour ça. Moi je suis sûre en tout cas qu’on a beaucoup d’atouts.
Dans mon travail quotidien à Montreuil, plus encore qu’au Ministère où nous sommes corsetés par le travail interministériel, les engagements internationaux, les rythmes de la construction européenne… Je me sers de tout ce que j’ai à ma disposition. La culture des résistants, la culture des alternatives de vie et des comportements innovants, la culture des utopies, de la modernité, la culture de gouvernement ou des institutions. Nous ne sommes pas des « babacools » ! Nous sommes en train d’inventer les institutions adaptées au monde dans lequel on vivra demain. La culture du changement, ce n’est pas une ligne droite, c’est un archipel. L’idée c’est de s’appuyer un peu à « géométrie variable » sur des forces qui bougent dans la société, qui nous contestent, qui nous bousculent mais qui nous permettent d’avancer. Le sujet c’était : « l’écologie, évolution ou révolution ? ». Je me sens très révolutionnaire dans mes objectifs à long terme mais, parce que j’ai constaté que les révolutionnaires sont en général des gens aigris au soir de leur vie pour avoir dû constater, soit que la révolution n’avait pas eu lieu et qu’ils n’avaient rien fait, soit que la révolution s’était éloignée des idéaux de départ et qu’ils étaient frustrés et trahis, j’ai choisi d’être réformiste, et radicalement réformiste, dans mon mode d’action.
Je suis maire d’une ville de 105 000 habitants dans l’est parisien, une ville plombée par 75 ans de communisme municipal où toute dépense était considérée comme légitime et tout effort d’efficacité de la dépense publique comme une injustice inacceptable. J’ai hérité d’un patrimoine extraordinairement dégradé, les trottoirs, l’éclairage public, 47 écoles, des crèches, les gymnases… Rien ne semble avoir été entretenu. Et la première des tâches écologiquement logique, c’est juste de rattraper le niveau moyen d’équipement des autres villes… Rassurez-vous, je fais tout ce que vous attendez d’une écologiste ferme dans ses convictions sur la primauté de nos transports collectifs, sur la construction de nouvelles écoles passives et d’une piscine épurée grâce à des plantes, sur la construction d’un éco-quartier, sur la construction de logements, passifs eux aussi, sur la maîtrise publique du foncier. J’ai revu les achats et les marchés publics avec des clauses sociales d’insertion, d’emplois réservés à des personnes handicapés, des clauses environnementales… Concernant les mesures écologiques, j’ai, par exemple, éradiqué les désherbants chimiques, très nocifs pour l’environnement et pour la santé des agents. Malgré les maladies professionnelles aux services de la voirie et des espaces verts, les agents ont eu du mal à accepter ces changements de méthodes de travail. Trois ans après ils ont enfin compris les bénéfices pour leur santé et l’environnement de leur ville. C’est une petite victoire, mais elle montre que le changement est un processus de très longue haleine. J’ai décidé de faire en tout temps et en tout lieu le lien entre les questions sociales et les questions écologiques. Ma priorité reste la cohésion sociale, la culture, le sport, l’éducation, la jeunesse, la qualité des espaces publics, l’offre de jardins publics, la mixité des espaces, la diversité des populations. Parce que, si nous ne vivons pas ensemble, et non pas comme une juxtaposition de communautés, si nous ne prenons pas la conscience de notre communauté de destin à l’échelle de notre ville, pas contre les autres, mais avec les autres, alors ça sera très compliqué de faire comprendre que nous avons une seule planète à notre disposition.
J’essaie à chaque instant de faire les bons choix de solidarité, de sobriété, de responsabilité. Je dirais que ce qui définit le mieux mon travail de maire c’est que j’essaie d’agir, comme on disait autrefois, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France, « en bon père de famille », parce qu’évidemment les femmes n’avaient à l’époque guère de droits. J’essaie simplement d’être une personne rationnelle, responsable, d’anticiper plutôt que de subir, de préparer plutôt que de réparer. J’ai l’impression que sur le long terme ça portera ses fruits. Montreuil est l’unique ville où en vraie grandeur s’expérimente la transformation écologique de la société, le changement de comportement et d’habitudes individuelles et collectives grâce auquel on pourra sauvegarder les valeurs démocratiques : liberté, solidarité, non violence, autonomie, responsabilité et coopération.
Je vous remercie !