Gaz de schiste : une proposition de loi qui fait pschitt…

Mercredi 1er juin, la proposition de loi de M. Christian Jacob visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique, adoptée à l’Assemblée Nationale, a été examinée par le Sénat.

Devant le manque d’intérêt des sénateurs de la majorité qui avaient déserté l’hémicycle, son examen a dû être interrompu…

Voici le texte de mon intervention :

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, il y a au moins un point sur lequel nous sommes tous d’accord, à droite comme à gauche sur l’ensemble des travées : il devient urgent de revoir de fond en comble la politique énergétique de notre pays.

À l’heure où l’Allemagne décide de sortir du nucléaire, à l’heure où l’Agence internationale de l’énergie pointe le fait que les émissions de carbone sur la planète ont atteint un pic inégalé, il nous faudra aller au-delà des professions de foi de certains des experts autoproclamés, très érudits, très indépendants des intérêts des entreprises du secteur énergétique, et qui préféreraient mourir plutôt que de se laisser dicter leur position par l’une ou l’autre d’entre elles… Ces experts se permettent de commenter la décision allemande en spéculant sur l’obligation dans laquelle se trouverait l’Allemagne d’acheter des kilowattheures nucléaires à la France, comme si ce n’était pas déjà le cas depuis des décennies, comme si la France n’achetait pas, elle aussi, de l’électricité à l’Allemagne. C’est une vérité éculée de le rappeler : nous vendons de l’électricité en base, nous en achetons en pointe. Le marché de l’énergie est unifié depuis très longtemps au niveau européen et il faudra aller au-delà .

Est-il nécessaire d’avoir un débat de plus sur les questions énergétiques ? Je ne le crois pas. Le débat que nous attendons les uns et les autres, c’est le débat de l’élection présidentielle, qui devra être mené à visage découvert, devant les Français et pas dans les cénacles où s’auto-congratulent depuis toujours les experts du secteur. Nous avons besoin d’en débattre parce que, en vérité, il faudra, quel que soit le mix énergétique de la France, préparer un sevrage énergétique en rupture avec la phase de boulimie pétrolière et nucléaire que nous venons de vivre pendant cinquante ans et qui nous a « gavés », dans tous les sens du terme. J’espère que ce débat sera de qualité, que tous les démocrates voudront y contribuer et que nous ne serons pas une fois de plus traités de catastrophistes, accusés de sonner le tocsin, et qu’il nous sera épargné d’entendre des vérités soigneusement distillées au compte-gouttes pour ne pas affoler. Je vous reposerai la question, madame la ministre. Vous êtes allée au Japon avec le Président de la République, Anne Lauvergeon et Bernard Bigot, à un moment où la société japonaise et l’ensemble de la planète se demandaient si oui ou non le cœur des réacteurs de Fukushima avait fondu. Aujourd’hui, vous devez bien reconnaître que c’était le cas au moment où vous étiez sur place. Je reviens aussi du Japon. J’ai vu la colère et le désarroi des ingénieurs de ce secteur, des chefs d’entreprise, des députés. Dans cette société, qui a si longtemps fait confiance à l’atome, on n’a plus confiance ni dans la parole des politiques, ni dans celle des industriels, ni dans celle des journaux. C’est un problème démocratique majeur qu’il nous faudra régler. C’est dans ce contexte-là que nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi, pas celle de Nicole Bricq, que nous avons cosignée parce qu’elle était claire, limpide, parce qu’elle prévoyait tout simplement d’interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, parce qu’elle abrogeait les permis exclusifs de recherche, dont on sait avec quelle transparence et quel discernement ils ont été délivrés par M. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement ! Et je veux que vous entendiez une vérité première, madame la ministre. La colère des élus locaux, l’inquiétude des populations sont au moins aussi largement la résultante de la méthode utilisée par le Gouvernement que du fait lui-même : l’instruction clandestine de ce dossier conduisant à l’octroi de permis d’exploration privée en violation du droit de la concurrence et d’une directive de 1994 organisant cette mise en concurrence des entreprises est évidemment éminemment suspecte. La proposition de loi, telle qu’elle nous est présentée et telle qu’elle a été amendée après un passage à l’Assemblée nationale et un examen en commission de l’économie, peut être qualifiée de basse manœuvre électorale visant à étouffer la voix des citoyens et de leurs élus. La vérité est connue de tous : les portes restent ouvertes pour les industries gazières et pétrolières. On doit ici pointer le jésuitisme du rapporteur, qui fait mine de regretter de ne pouvoir disposer des conclusions définitives des études qui ont été commandées et de s’interroger sur le fait qu’il ne dispose pas du travail de la mission commune d’information en cours à l’Assemblée nationale. Mais au moins n’insulte-t-il pas la mobilisation populaire et ne caricature-t-il pas les positions des élus locaux ! M. Biwer, quant à lui, s’y livre sans danger. Sa méthode me fait penser là encore, puisque j’évoquais le Japon, à celle qu’utilisent les diplomates japonais pour continuer à pêcher la baleine depuis des décennies. Le prélèvement des cétacés est interdit, … sauf en petites quantités à des fins scientifiques. Monsieur Biwer, la science doit être traitée avec sérieux et respect. Invoquer la science pour masquer un recul massif et honteux du Sénat n’est pas acceptable. Les industriels préparent déjà la prochaine étape. Les techniques de remplacement du forage hydraulique, qu’il s’agisse de l’utilisation d’adjuvants agroalimentaires ou de fracturation par arc électrique, sont en cours d’élaboration. Nous ne pouvons pas nier les impacts environnementaux massifs de ces techniques : la quantité d’eau requise pour l’exploitation d’un puits est colossale, comme l’ont dit d’autres intervenants avant moi, le nombre de mouvements de camions qui serait nécessaire, le nombre d’adjuvants et de produits chimiques dont plusieurs dizaines sont connus pour être cancérigènes : benzène, toluène, xylène, éthylbenzène, acétone, azote ou encore 2-butoxyéthanol, une substance connue pour ses risques de destruction des globules rouges ou de dommages à la moelle osseuse. Par ailleurs, il y a les effets secondaires de ces techniques : l’eau industrielle remontant à la surface après injection dans les puits de forage, le recyclage des boues – que faire des éléments toxiques contenus dans ces boues ? – la contamination des nappes phréatiques, les taux de méthane retrouvés dans l’eau à proximité des zones de forage, comme l’a montré l’étude de l’université de Duke, et j’en passe… On cherche à nous vendre le gaz de schiste comme source d’énergie menant à l’indépendance énergétique de la France et étant moins polluante peut-être que d’autres. En fait, les effets du méthane sur le réchauffement climatique sont cent cinq fois plus importants que ceux du dioxyde de carbone, les fuites de gaz seront évidemment nombreuses et bien plus importantes que pour les hydrocarbures exploités par simple forage. Nous n’échapperons pas aux efforts nécessaires pour opérer une transition vers un mode de développement sobre, responsable, où la répartition équitable des richesses de la planète et des moyens de développement en matière énergétique sera plus largement partagée.

Voilà , monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, ce qu’il me semblait important de dire à cet instant. J’attends avec beaucoup d’impatience le débat qui aura lieu lors de l’élection présidentielle. Je pense que vous l’attendez avec au moins autant d’impatience, mais peut-être plus d’inquiétude que moi, sinon vous n’auriez peut-être pas prêté la main à l’élaboration de cette proposition de loi.

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